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Dignité ou Revanche. Passion ou Fanatisme
par le Dr Thomas Trobe
C’est pendant que je finissais mes études de psychiatrie que j’ai découvert ce qu’on appelle en psychiatrie « les blessures narcissiques et la rage ».
Mon professeur de l’époque expliquait que ceci était la plus grande cause de violence – Elles résultent d’ une accumulation d’émotions et de sentiments non exprimés qui résulte du fait qu’on a été « envahie », pas respectée, pas vu et pas soutenu ou elle résulte encore du fait qu’on a pas pu se donner le soutien à soi même.
On ressent cette blessure comme une furie primitive et un désir de revanche et on la rumine autant qu’on peut.
Ce professeur nous donna comme devoir à ma maison d’aller louer le film « Rambo II – la mission ». Il nous expliqua que c’était le plus grand exemple de rage narcissique qu’il lui était arrivé de voir.
Dans le film, le personnage joué par Sylvester Stallone passe tout le film à prendre sa revanche sur un ancien officier devenu policier qui l’a trahit et qui lui a fait presque perdre la vie lorsqu’il était soldat au Vietnam.
Le jour suivant, notre professeur demanda : « Alors, qu’est-ce vous avez ressenti en regardant le film ? »
La plupart d’entre nous, surtout les garçons, on voulait que Stallone se débarrasse de ce « fils de chien ».
« Eh bien » dit –il, ça c’est votre rage narcissique. C’est quelque chose d’assez primitif n’est-ce pas ? Et nous l’avons tous en nous. La plupart des gens sont trop réprimés pour se permettre de l’exprimer ou même juste de la sentir. C’est pourquoi lorsqu’ils vont à un film comme celui ci, ils ont une espèce d’excitation vicieuse car quelqu’un d’autre l’exprime pour eux.
De plus, si une personne n’a pas travaillé sur sa blessure narcissique et sa rage et vous lui donnez un peu de pouvoir, il est très probable qu’il va en abuser et devenir violent. »
Ceci m’ouvrit les yeux. Je pouvais aisément reconnaître cette blessure narcissique et cette rage en moi et dans les autres. Je me rappelle que lorsque j’étais interne à l’hôpital, j’ai expérimenté pour la première fois le pouvoir. J’ai pu voir comment chacun de nous essayait d’en abuser et comment nous traitions les patients, les infirmières et le staff de l’hôpital.
Si vous avez passé beaucoup de temps à paraître comme un mec gentil et à réprimer votre rage alors il est certain que tôt ou tard elle sortira.
Il y a quelques années lorsque je commençais à animer des stages, j’ai eu une dispute avec l’un des participants car il résistait à suivre la structure du groupe. Ne me s’entant pas bien avec ce qui était arrivé , je suis allé en parler à ma formatrice. Elle m’écouta et me dit : « Thomas, tu peux faire tes groupes sur l’ouverture du cœur et sur l’Amour ou sur la colère et la haine, c’est à toi de choisir. Personnellement, je préfère l’Amour. » Et je me rappelle qu’elle m’a dit ensuite :
« Si tu as des difficultés avec un participant, ce n’est jamais la faute d’un participant. »
J’ai alors compris que toutes cette colère que j’avais contre ce participant était lié à son refus de suivre «les structures du groupe » et que cela me rendait « insécure » et me faisait douter de mes capacités en tant qu’animateur de stages. Mais plutôt que de sentir cette insécurité, ça m’était plus simple et plus automatique de devenir violent avec lui.
J’ai aussi appris pas mal sur la violence grâce à un autre enseignant lors d’une formation en développement personnel.
Il m’expliquait : « A l’origine de la violence, il n’y a pas que cette blessure narcissique, il y a aussi la peur de permettre aux autres d’être différents de nous. Nous avons tous été émotionnellement ou physiquement abandonnés en tant qu’enfants et à cause, justement, de cette blessure, nous voulons que tout le monde soit pareil à nous même. Nous ne pouvons pas tolérer les différences car pour cette partie qui est infantile en nous, les différences sont une véritable terreur.
Nous voulons que tout le monde voit les choses comme nous et c’est ensuite seulement que nous nous sentons en sécurité. C’est juste une compensation pour le fait d’avoir été abandonné quand nous étions enfant, à ce moment là ça a été terrifiant et toutes ces peurs vivent encore en nous. Mais plutôt que de sentir ces peurs, les gens préfèrent devenir fanatiques et cherchent à imposer leur point de vue à tout le monde – et même violemment si cela est nécessaire. »
Pendant qu’il parlait, j’ai commencé à me sentir inconfortable. Je pouvais voir que j’avais déjà eu du fanatisme en moi. A cette époque, j’étais encore un chercheur fanatique croyant que ma voie était la seule possible et que j’avais trouvé le vrai maître et le vrai chemin spirituel.
Les autres participants au programme étaient intéressaient par mes points de vue sur les choses mais ils ont aussi senti que j’était un peu lourd !
Nous pouvons être passionné par quelque chose ou nous pouvons être fanatique. Ce n’est pas toujours si facile de dessiner la ligne. Et aussi, autant il est naturel et sain de défendre quand quelqu’un nous envahit, autant c’est différent quand c’est nous qui devenons obsédés par la revanche. Quand est-ce que cela se transforme-t-il en violence ?
Récemment, je marchais dans ma ville avec un bon ami à moi qui est d'origine israélienne, on est passé à côté d'un immeuble où il était écrit :
" Max Schoenberg, M.D et Hana Schoenberg, déportés en Août 1942; morts en en mai 1943 à Auschwitz."
Alors qu'on continuait à marcher, mon ami me dit " Rien n'a changé pour les juifs. Avant c'était les nazis et maintenant c'est les arabes. "
Je lui ai dit : "Allez arrête tes conneries, ç a n'a rien à voir. Et en plus, les israéliens abusent de leur pouvoir. Ils devraient se retirer de ces putains de colonies. Ils provoquent les arabes et un idiot de belligérant. " C'est une de nos discussions préférées.
Il me répondit avec une sorte de tolérance nécessaire pour quelqu'un qui ne sait visiblement pas de quoi il parle, "Tu ne comprends pas Krish. Ils veulent nous tuer. Peu importe ce qu'on fait. Nous ne serons jamais en sécurité. Les vieux juifs ne se sont pas battus. Les nouveaux, hé bien, nous le faisons. Les israéliens ne soutiendront qu'un dirigeant politique qui ne se fait pas avoir. C'est pourquoi on a Sharon et non pas un idiot pacifique. "
"Je suppose que tu penses que les américains devraient envahir l'Irak ? lui demandais-je (en sachant déjà ce qu'il allait me répondre).
"Bien sûr", répondit-il, "Hussein veut tous nous détruire. Les arabes pensent que tous les autres sont des infidèles et ils n'ont aucun problème à tuer des infidèles. "
Notre vision de la réalité et notre expérience est certainement différente, et, naturellement nous formons nos points de vue à partir de nos propres expériences.
Lorsque mon ami était dans l'armée israélienne, il patrouillait alors vers la West Bank armé d'une mitraillette. Alors que moi, le plus gros combat que j'ai vu était avec un étudiant Jimmy Travers en 5ème année de Fac. Je l'ai d'ailleurs perdu !
Mon ami israélien a appris très tôt que sa survie dépendait de sa capacité d'autodéfense. Moi, j'ai eu une enfance "facile" de classe moyenne, j'ai été dans des écoles privées et j'ai vécu dans un voisinage sans violence.
Mais j'ai manqué quelque chose qui est pourtant vital : je n'ai jamais appris la mentalité et les outils de l'autodéfense.
Un jour au lycée, j'ai été pris à partie par un jeune qui était anti-sémite. Je n'avais jamais encore rencontré cela et j'ai été trop choqué et impressionné pour lui répondre.
Plus tard, j'ai pensé un million de fois à cet épisode et j'ai regretté de ne pas avoir pu faire face à cette personne.
C'est pourquoi dans les années 80, j'ai décidé d'apprendre les arts martiaux. J'ai essayé le Karaté pendant un moment…jusqu'au jour où un autre élève de Karaté me cassa le nez et je décida alors que j'étais "trop spirituel pour ce genre de connerie ! "
J'ai le sentiment que nous ruminons notre revanche et que nous pouvons même passer à l'acte lorsque nous n'avons pas encore réglé notre propre narcissisme blessé et quand nous n'avons pas encore retrouvé notre intégrité et un véritable respect pour nous même.
Si nous n'avons pas senti le choc et la rage des "invasions" que nous avons expérimenté dans le passé et si nous n'avons su reprendre notre dignité en sachent nous défendre alors nous n'avons pas guéri notre rage narcissique.
Je peux voir qu'il y a encore une partie en moi assez forte, qui voudrait éliminer tous ceux qui m'insultent, m'envahissent ou m'humilient, ou qui simplement ne me soutiennent pas.
Une blessure narcissique ne se guérie pas si facilement.
Je continue par exemple à ne pas totalement me pardonner pour ne pas avoir su me "défendre" dans le passé. Bien sûr, en apprenant à rester plus présent, je suis plus capable de ne pas trahir le respect que j'ai pour moi même.
Que ce soit personnel ou collectif, notre petit conflit ou des plus gros conflits, la question est à peu près la même.
Psychologiquement, notre violence est crée par un narcissisme blessée et par les peurs de l'abandon. Si on se sent envahi, on veut alors retrouver notre dignité. Et le plus on se sent sans pouvoir, le plus profond est notre désir de revanche. Le plus on est apeuré, le plus on devient primitif dans notre manière de répondre à l'autre.
Et c'est la même chose entre des personnes ou entre des pays.
Mes parents vivaient en Israël lorsque l’Israël a arrêté Adolph Eichman et l’a exécuté. Mon père avait passé 2 ans au Portugal pendant la seconde guerre mondiale, il y aidait les juifs à échapper à la Gestapo et après la guerre, son travail était de reloger les juifs qui avaient été dans les camps de concentration. Mais il était totalement opposé à l’exécution de Eichman. Il avait le sentiment que ce n’était pas acceptable qu’ un pays cherche à se venger. La vengeance pour lui était quelque chose de valable pour les enfants et non pour des personnes matures et encore moins pour un pays civilisé.
Il semble que l’essentiel de la conscience humaine est prise entre exprimer cette rage narcissique ou devenir de plus en plus apeuré et fanatique. Les arabes ont un élément fanatique mais il en est de même pour toutes les religions sur cette planète. Et quelque soit le point de vue, si on s’y attache un peu trop peut tôt ou tard devenir une religion fanatique. Ce serait fantastique si les choses étaient différentes mais tout ce que nous pouvons faire, je suppose, c’est de continuer de regarder à nos propres trucs !
Cet article est extrait du Viha Connection de mai/juin 2003
(il a été traduit en français par meditationfrance)