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ENTERRE MON COEUR
par Paul Degryse
Ecoutant le bon sens commun, l’homme est totalement convaincu de l’extériorité spatiale et de la nature objective du monde physique qui l’environne.
De cette vision du monde, il tire certes des besoins matériels et quotidiens et un rapport aux objets et à l’espace qui façonne en retour son existence et renforce ses croyances. Mais elle fait aussi naître en lui une attirance puissante pour les contrées lointaines qui s’étendent au-delà de son horizon : la curiosité est la force gravitationnelle de l’esprit.
C’est ainsi que depuis des dizaines de milliers d’années, associant dans un même élan le besoin vital d’agrandir son territoire et celui de satisfaire cette curiosité irrésistible, l’homme n’a jamais cessé d’aller à la découverte d’espaces inconnus.
Le chamanisme semble entrer en contradiction avec cette vision objectiviste du monde quand il nous révèle qu’en réalité celui-ci est une création de notre conscience.
En fait, l’explication chamanique du monde apporte à notre expérience de la vie quotidienne un sens qui englobe notre sentiment ordinaire d’objectivité sans le contredire. Car nous l’avons vu précédemment la logique paradoxale du chamanisme veut qu’explication et implication coexistent dans une même démarche :
Ex-plicativement, nous pouvons comprendre et accepter que le monde extérieur est en réalité dans notre conscience. Im-plicativement, nous nous appuyons sur son extériorité spatiale apparente pour l’expérimenter dans sa double nature et le fait que, se faisant, nous sachions qu’il s’agit d’une aventure intérieure, démultiplie l’intensité et la magie de l’existence humaine à l’infini.
L’idée de la nature sujétique du monde ne vient pas plus en contradiction avec notre expérience sensorielle et spatiale de celui-ci que E=mC², (à savoir l’équivalence de la matière et de l’énergie) ne vient en contradiction avec notre incapacité à transformer immédiatement cette feuille de papier en pure énergie. Que nous connaissions ou non cette équivalence, que nous la comprenions ou non, nous l’expérimentons cependant en permanence de façon banale et quotidienne bien que pas du tout à la façon saisissante et raccourcie que suggère la célèbre formule d’Einstein.
Quand Christophe Colomb et ses marins découvrent l’Amérique, quand ils pataugent dans l’eau bleue des plages Caraïbes et ressentent la brûlure du soleil sur leurs visages amaigris c’est leur conscience qui crée la réalité extérieure de ce débarquement que lui et ses marins vivent cependant simultanément avec leurs sens et leurs corps.
En fait, notre expérimentation quotidienne de l’objectivité du monde et notre exploration de ses espaces inconnus sont la forme que prend notre Rêve individuel et collectif de ce monde mais l’ultime réalité est bel et bien la création Rêvée de son Etreté.
Aujourd’hui, la rotondité de la terre ne recèle plus de terres inconnues et notre soif de découvertes, stimulée par notre niveau technologique, nous pousse à la quitter.
Mais ces perspectives, au demeurant plutôt excitantes, sont assombries par deux sujets de réflexions :
Jusqu’à lors, l’exploration des terres inconnues ne s’est jamais réalisée dans le respect des êtres vivants qui les occupaient déjà.
De colonisation en génocide, et d’appropriation en conversion religieuse forcée, le découvreur se muait très vite en conquérant arrogant persuadé de sa supériorité en tous points, avec les conséquences que l’on sait.
Par ailleurs, ces moyens technologiques étonnants qui permettront sans doute bientôt de débarquer sur d’autres planètes ont une amère contre partie : elles appartiennent à un même courant scientifique dont le prolongement techno -économiste menace actuellement très sérieusement la vie sur la terre.
Le souhait des chamanes est donc le suivant : que la science change très vite et radicalement d’esprit et adopte une éthique humaniste ferme et concrète pour consacrer désormais ses efforts sur la terre à des découvertes et applications respectant intégralement et globalement la vie, en se séparant de l’économisme de façon radicale puis qu’elle adopte le même état d’esprit et la même éthique dans la recherche de la mise au point des transports interplanétaires. Peut-être ainsi, au lieu de se contredire, réalisme spirituel et science éthique pourraient-ils converger vers une nouvelle étape de l’évolution de la conscience humaine.
Personnellement, je demande qu’à la fin de ma vie, si je ne suis pas passé dans la troisième attention, mon coeur soit enterré dans le sol de la planète Mars.
Je suis rocher, je suis arbre, je suis loup et je suis homme, mon coeur contient tous les ferments subtils de ces quatre règnes.
Ce petit fragment de matière humaine pourra peut-être favoriser la propagation de la vie organique sur la planète rouge, si elle est possible, et servira aussi de symbole du désir des hommes de découvrir pour la première fois, de nouveaux espaces dans l’amour.
Extrait de : "Chamane le chemin des immortels" en avant première et en exclusivité pour méditationfrance.com