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Interview exclusif avec un artiste palestinien et bouddhiste vivant à Paris
Internet est une fantastique invention pour rencontrer des personnes nouvelles ! En février, nous avons eu le plaisir de faire la rencontre de Wael, un artiste/créateur palestinien et bouddhiste qui vit à Paris.
- Salut Wael,
- Salut Emmanuel
- Tu es d'origine palestiniene, tu vis à Paris, peux-tu nous raconter ton histoire qui t'a amené à venir en France ?
- Je suis né au Liban, à Beyrouth, en 1967, effectivement de parents
Palestiniens chrétiens. Mon père et ma mère sont partis de Jérusalem en 1948, respectivement à 12 et 8 ans. La guerre du Liban a démarré en 1974, et une des explosions qui a marqué ce début était dans notre rue.
En deux ans, la situation a beaucoup dégénéré, tant en sécurité qu'en qualité de vie. Je garde une vive mémoire des effets cruels d'absence d'ordre dans une société. Il a fallu partir.
Bien que mes parents aient été anglophones, ils ont choisi la France plutôt que les Etats-Unis, en pensant à notre avenir culturel. Donc nous sommes arrivés à Paris en 1976, j'avais 8 ans et demi.Au départ, c'était en attendant l'accalmie, mais encore deux ans plus tard, il était clair que nous ne retournerions pas.
- La plupart du temps, je vois des palestiniens qui sont en colère et qui ont même je dirai de la haine pour leurs voisins israéliens avec tout ce qui s'est passé. En discutant avec toi, je n'ai pas ressenti cela. Quel est ton secret pour aller au delà des blessures de l'histoire et des émotions négatives ?
- Je n'en ai aucun !! Ce sont plutôt les composantes de la situation.
D'abord, je ne subis pas les inconvénients quotidiens de la situation de certains palestiniens encore sur place, et même mes parents ne l'ont pas vécu. Ma famille n'a pas manifesté de tels sentiments négatifs, ni parents ni mes grands parents. Et enfin, dans les milieux typiquement français où j'ai grandi, le sujet ne revenait pas sans cesse, donc j'ai pu digérer tranquille.
Ma blessure, c'est le Liban. Lorsque nous y sommes retournés, en 1982, j'ai eu un choc. La route magnifique menant de l'aéroport à Beyrouth, je l'ai vue défigurée. Les palmiers étaient morts, leurs feuilles pendantes et noires, et à leur pied, et jusqu'à Beyrouth, s'étalait un bidonville des deux côtés. Plus loin les destructions des maisons et de la ville complétaient le tableau, la guerre était loin d'être finie.
En grandissant, j'ai compris qu'il fallait dire adieu à cette terre. On ne peut pas s'enraciner à deux endroits à la fois. Sans couper ses anciennes racines, il faut couper l'attachement aux situations qui ne sont plus.
En général dans ma famille, c'est ce principe de réalité qui a prévalu.
La Palestine d'avant 1948, c'est fini, on n'y reviendra pas. Par contre, des frustrations et de la colère, il y en a eu.
La haine, c'est de la colère mêlée de mépris, ce qui chez les palestiniens comme chez les israëliens, vient du manque de contact. En arrivant en France, mon premier ami à l'école s'appelait Richard. Quand j'ai appris qu'il était juif, j'ai bien vu que ce n'était pas lui, ni ses parents qui étaient sources de nos souffrances. Le problème des palestiniens et des israëliens est qu'ils sont coïncés dans l'absence de contact, et ils s'en rejettent la faute.
Donc plus tard, relativement récemment, j'ai évacué ce qui me restait vis-à-vis de la Palestine et de nos terres perdues, comme par un geste d'offrande intérieure. Les terres sont finalement des possessions comme les autres. Aucun mauvais sentiment ne vaut la peine d'être gardé, ni même la nostalgie, bien que le coeur garde une mémoire et une dignité indélébiles.
- Bon...très intéressant... Je ressens en t'écoutant quelqu'un qui sait se détacher du mental et rester au contact du silence intérieur si précieux. Quelle est ton expérience de la spiritualité ? Est-ce que tu es bouddhiste ?
- Oui, je suis bouddhiste. J'ai pris refuge il y a presque vingt ans, mais ce n'est que récemment que ça s'est confirmé. J'ai toujours été insatisfait de ne fréquenter qu'une école, et pendant tout ce temps, bien que lié à la même amie spirituelle, j'ai essayé beaucoup de choses, j'ai été voir ailleurs, comme on dit. Les déceptions, en général, et celles liées au bouddhisme et particulièrement à l'école Kagyü dont je suis issu, m'ont fait beaucoup réfléchir.
Au moment de me demander si finalement j'étais bouddhiste ou pas, il m'est apparu que oui.
Car ce à quoi j'aspire, c'est à cette grande paix à laquelle aspirent tous les humains, mais aussi les animaux, tous les êtres vivants. Et nous y aspirons, non seulement parce que la paix c'est bien, on y est tranquille (ça c'est la petite paix), mais surtout parce que cette grande paix est notre nature la plus profonde.
Et j'ai trouvé que l'enseignement du bouddha historique est la voie la plus simple et la plus directe, non duelle, pour cheminer vers et avec cette paix. Les autres traditions sont présentes, elles m'inspirent, vu ma culture de naissance, mais c'est le bouddhisme, de par son absence d'affirmation, qui l'emporte pour ce qui est de la méthode.
Mais ce n'est pas une petite paix, elle inclut les ennemis, les conflits, ce qui est repoussant, etc..., et ce n'est pas une paix facile. Le point le plus important est de ne pas se raconter d'histoires par rapport à ce qu'on vit réellement, comparé à ce à quoi on aspire. L'écart peut être désespérant, mais c'est là qu'il y a tout le travail, surtout pour des bouddhistes occidentaux.
Pour finir, mon expérience de la spiritualité, c'est sont deux choses : toucher notre nature profonde est très difficile, mais c'est à portée de main et deuxièmement, il est très difficile d'être sincère, mais nous pouvons le faire. Le reste, c'est du blabla, nécessaire peut-être, mais du blabla.
- Tu es artiste, peux-tu nous parler de ta créativité ?
- Je veux bien parler (rires) , mais je ne me sens pas vraiment créatif.
Je suis ébahi des qualités de certaines matières, et les aspects qu'on peut leur faire prendre en les travaillant. C'est incroyable à quel point les pierres, par exemple, nous parlent, par leur couleurs, par leur cristal si elles sont transparentes. Les métaux et leurs réactions, leurs alliages, me fascinent.
Je n'ai pas l'impression de créer, mais bien de partir de ce que dit la matière elle-même, et de suivre des directions qui se proposent.
Certaines matières en appellent d'autres, petit à petit on découvre des associations. Je chemine comme ça aussi avec les techniques, que je fais évoluer. Donc naturellement l'état intérieur et l'objet en cours de fabrication interagissent, l'un influant sur l'autre. Il n'y a pas que des réussites. D'ailleurs, les accidents, les ratés sont aussi souvent des leçons par rapport mon état que des leçons techniques.
Ces matières, avec le bois, les peaux, l'os, etc.... , tout ça je n'en suis pas le créateur. Donc plutôt qu'un art, mon activité est un artisanat à l'écoute de la matière.
Mon aspiration, c'est de rendre à ces matières la dignité et la place que la nature leur a donné, en les travaillant avec respect, et en les mettant au service de traditions spirituelles. Ce faisant, je fais le souhait, à l'instar des alchimistes, de mettre à jour la nature lumineuse de mon esprit, comme on sépare l'or du plomb.