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La réforme des prisons
Par Emmanuel MOULIN
co-fondateur de Meditationfrance
La méditation transformerait radicalement les prisonniers et serait la clé pour une meilleure qualité de vie et une meilleure réhabilitation...
Est-ce que les prisons seraient enfin en train de se réformer ? On pourrait le croire avec cette nouvelle tendance dans les prisons du monde entier : la mise sur pied de stages d’introduction à la méditation et à la maîtrise de soi !
L’idée est venue d'Inde, et elle a été appliquée avec réussite déjà en Angleterre, aux Etats-Unis, en Suède, en Norvège, en Italie, au Brésil, en Belgique et au Québec, ces stages de méditation en milieu carcéral se multiplient rapidement à travers le monde.
Ces stages intensifs transformeraient les prisonniers : meilleur équilibre du corps et de l'esprit + renforcement de la volonté, de la conscience et de la lucidité.
Depuis plusieurs années, politiques, juristes et acteurs sociaux réclament une réforme du système pénitentiaire français. Il faut dire que les problèmes sont nombreux. Le premier est la surpopulation carcérale. Au 1er janvier 2008, la France comptait 100,3 détenus pour 100 000 habitants, contre 94,9 en 2005 et 75,6 en 2001.
En 1981, l'abolition de la peine de mort a été un pas de plus vers l'humanisation de la justice mais cela a pour conséquence d’augmenter le nombre de détenus.
Il y aussi la décision de ne plus accorder la traditionnelle grâce collective du 14 Juillet qui jouait le rôle d'une soupape de sécurité, permettant chaque été de soulager provisoirement les prisons, en faisant sortir de manière anticipée de 3 500 à 5 000 détenus.
Par ailleurs, l’accroissement de la durée de détention et de la détention provisoire notamment, la baisse de condamnation aux travaux d'intérêt général, et l'augmentation de la délinquance, expliquent aussi cette surpopulation.
Mais, surtout, il faut le reconnaître : le vrai problème est que notre société est toujours aussi violente. Ce n’est pas la démocratie, internet ou l’éducation scolaire qui y changent grand-chose ! La violence a sa source dans une réalité individuelle et sociale : le stress, la pression, le mode de vie, les émotions, les instincts animaliers, les pulsions et les inégalités en sont sûrement les causes principales.
Et pourtant, la violence est souvent réprimée dans notre société moderne mais parfois elle ressort soudainement. Et cela se termine souvent par de la prison. Et la prison crée encore plus de violence et de drames humains. Pour quelques minutes d’inconscience, une personne peut rester des années en prison et c’est souvent ensuite une vie brisée. Il y a aussi le problème des récidivistes, souvent la prison ne résout rien et au contraire, elle est à la source de nouveaux clans et de trafics illégaux.
C’est pourquoi il me semble que la prison, outre son rôle répressif, doit avoir un rôle éducatif, transformateur. Et je ne parle pas d’une éducation morale ou intellectuelle mais de l’apprentissage de la méditation et de la maîtrise de soi.
En effet, qu’est-ce que la méditation ? La méditation existe quand est dans l’observation des émotions, des pulsions instinctives et des pensées, c’est dire quand on a une certaine distance sur nos pensées et émotions. Et ce n’est pas une technique réservée aux moines bouddhistes, la méditation peut-être un outil fantastique pour nous aider à gérer sereinement nos actions ou nos réactions.
Voici une petite histoire zen qui explique bien ma pensée :
Un voleur aimait aller voir un grand maître bouddhiste, Nagarjuna. Il était très touché par l’aura de ce maître, jamais il n’avait vu une telle grâce, une telle beauté. Il demanda à Nagarjuna, « Y-a-il une chance que je puisse aussi grandir spirituellement ? Mais je dois être clair : je suis un voleur et en plus je ne peux pas m'empêcher de voler, j’ai déjà essayé et je n’ai jamais réussi.
Donc, ne me demandez pas de ne plus être un voleur, j’ai moi-même accepté cela comme ma destinée.
Nagarjuna répondit, « De quoi avez vous peur ? Qui vous demande d’arrêter de voler ?
Le voleur expliqua, « Chaque fois que je suis allé voir un prêtre, un moine ou un saint, ils me disent : « Commencez d’abord par arrêter de voler. »
Nagarjuna rigola et dit, « Cela signifie que vous êtes allés voir des voleurs, sinon je ne vois pas pourquoi cela leur pose un problème. Moi, je ne suis pas inquiet ! »
Le voleur était heureux d’entendre cela. Il dit, « Alors je suis d’accord, il semble que je puisse devenir votre disciple. Vous êtes le maître qu’il me faut. »
Nagarjuna l’accepta et lui dit : « Maintenant, vous pouvez aller où vous voulez et faire tout ce que vous souhaitez. Il vous faut remplir seulement une condition : soyez pleinement conscient ! Rentrez par effraction, cassez des vitres, cambriolez des maisons…etc. Faîtes tout ce que vous souhaitez, peu m’importe, par contre faîtes-le avec une totale vigilance. »
Le voleur n’avait pas encore compris qu’il s’était fait piégé. Il dit, « Ok, pas de problème, je vais essayer. »
Il retourna voir le sage après trois semaines et lui dit, « Vous êtes rusé car lorsque je suis pleinement conscient, je ne peux pas voler. Si je vole, la pleine conscience disparaît automatiquement.
Nagarjuna lui répondit : « Ne parlons plus de votre profession de voleur. Cela ne m’intéresse pas. Je ne suis pas un voleur. C’est à vous désormais de décider, que souhaitez-vous ? Etre pleinement conscient ou ne pas l’être ?
L’homme dit, « Aujourd’hui, cela m’est difficile d’abandonner la pleine conscience, j’ai goûté à cet espace, c’est tellement merveilleux. Je ferai tout ce que vous me dites de faire. Sachez que la nuit dernière, j’ai essayé de cambrioler le palais du roi. J’ai même trouvé son trésor. J’allais être un homme riche mais je me suis alors rappelé de ce que vous m’aviez dit: que je devais être conscient. Et lorsque je suis devenu pleinement conscient, je n’avais soudainement plus aucune motivation ou désir. Et quand je perdais cette vigilance, à nouveau le trésor était là. Et ainsi, plusieurs fois de suite, je suis passé d'un état à l'autre. En devenant vigilant, je voyais les diamants comme de simples vulgaires pierres. Je réalisais alors que je perdais mon âme juste pour des pierres. Puis, si je perdais la pleine conscience alors les pierres semblaient de nouveau magnifiques. Mais finalement, j’ai décidé qu’elles n’en valaient pas le coup. »
A partir du moment où vous avez connu la vigilance, vous savez qu’il n’existe rien d’autre qui n’ait plus de valeur. Goûter à la pleine conscience c’est goûter à la plus grande joie que la vie peut vous offrir. Dès cet instant, de nombreuses choses disparaissent d’elles-mêmes. Elles deviennent inintéressantes, stupides. La motivation n’est plus là, le désir n’est plus là, les rêves se sont évaporés.
Cette histoire montre bien je trouve le pouvoir de la conscience et du moment présent. A chaque moment de la vie, nous pouvons être conscient ou inconscient. C’est notre choix, notre liberté. La violence et les crimes n’existent que lorsqu’on est inconscient, « lorsqu’on se perd dans l’action ou dans l’émotion ». La méditation permet d’amener de la conscience et de se revenir à soi-même. Je suis persuadé que si on enseignait la méditation aux enfants et aux adultes dans nos sociétés, on aurait beaucoup moins de violence, d’accidents et de conflits.
C’est d’ailleurs ce que montre clairement tous les projets liés à la méditation qui ont été expérimentés dans le monde. Dans cet article, je ne peux pas présenter chaque projet, mais voici un des exemples les plus fameux, celui de la prison de Tihar en Inde.
Avec plus de 10 000 détenus, Tihar n’est pas seulement la plus grande prison de l’Inde, elle est aussi la plus dangereuse. Elle abrite des prisonniers incarcérés pour trafic de stupéfiants, abus sexuels , meurtres et actes de banditismes. Mais il y a quelques années, la prison a connu une transformation étonnante. A l’initiative d’un officier de police et de proches de l’enseignant Goenka, la technique de méditation Vipassana a été introduite à l’intérieure de la prison et l’endroit a été « pacifié ». Ils sont maintenant plusieurs centaines à méditer chaque jour et à proclamer leur transformation ! La violence a laissé la place à la sérénité spirituelle ou du moins à quelle chose qui s’en approche. Les prisonniers retrouvent une joie de vivre, une douceur. « Au lieu de se bagarrer on cultive des fleurs » explique un prisonnier. Selon un gardien de la prison, « la technique de méditation calme l’esprit agité des prisonniers et transforme leur manière de voir les choses ».
Praveen Chawla, un jeune homme purgeant une peine de prison à vie pour le viol de son ex amie, est l’ exemple type du nouveau converti (à la méthode). Il était plein de ressentiment à son arrivée à la prison, pensant avoir été injustement condamné. Mais avoir participé à plusieurs sessions de méditation de 10 jours, il affirme ne plus avoir à lutter intérieurement et a cessé de se quereller avec les autres. Il est en fait devenu instructeur de méditation. « Je sais maintenant qu’on peut trouver la paix et une liberté profonde à l’intérieure même de la prison. Jamais je n’aurais pensé que la méditation puisse produire un effet si libérateur ! » Confie-t-il.
La méditation utilisée dans ce programme est Vipassana, qui signifie « voir les choses telles qu’elles sont » c’est une des techniques de méditation les plus anciennes. Par l’observation de la respiration, elle transforme et modifie en profondeur le mental de la personne.
La méditation consiste à comprendre la nature de notre sommeil, de notre inconscience et à développer plus de conscience, de vigilance intérieure.
Chaque stage organisé en prison dure en tout une dizaine de jours. Un entraînement intense, où se succèdent des méditations silencieuses, seul ou en groupe, pour avoir conscience de sa propre respiration et des sensations du corps, des entrevues avec le professeur et des repas végétariens. Au bout du quatrième jour, la paix commence à descendre sur le prisonnier. « Et à la fin du stage, il réalise la futilité et l’inconscience de son acte criminel » raconte Ajay Agarwal, le directeur de la prison.
Essentiellement gratuits et fondés sur le volontariat, ces stages nécessitent la collaboration des autorités et du personnel carcéral. Notamment dans l'organisation des repas (végétariens, rappelons-le) et le respect des horaires quotidiens. Un exemple, le "noble silence" : 11 heures de méditation requises par jour dans une cellule vide. Une absence de contact, de boissons ou de cigarettes qui demande une coordination, des arrangements avec la vie quotidienne carcérale.
Pour ceux que cela intéresse, il existe un très beau film sur l’expérience à la prison deTihar « Liberté derrière les barreaux (Karuna films).
Les expériences en prison semblent être toutes positives, voici quelques expériences récentes :
Prison Dharma Network est aujourd'hui une des associations les plus actives pour l'enseignement de la méditation en prison aux Etats-Unis grâce à l’énergie de Fleet Maul, un ancien détenu. La méditation IAM d'Amma a aussi été introduite dans la maison de détention juvénile (17 ans maximum) de Santa Fe dans le Nouveau Mexique où parait-il les jeunes ont même une plus grande capacité de réhabilitation que les prisonniers adultes.
Depuis 2005, en Italie, Le Dr Vincenzo Fatta a commencé à animé un séminaire de méditation et de thérapie holistique qui est très « encourageant » dit-il.
Marga Haya Oteiza enseigne la méditation dans une prison de Londres et elle constate que les prisonniers qui participent au programme s’adoucissent et sont plus relaxés. Ils souffrent beaucoup de l’isolation et du désespoir et la méditation les aide à se sortir des pensées négatives.
Ati est québécois et travaille dans la lignée des enseignements d’ Osho, il anime des méditations en milieu carcéral une fois par 2 semaines depuis l'hiver 2007 dans un centre de détention à sécurité médium, un pénitencier - près de Montréal ; Il écrit sur son blog : « C’est tout un feeling de passer les barrières électroniques, de se faire fouiller et questionner, parfois se faire sentir par le chien renifleur, après avoir dû subir une enquête approfondie de la part des Services Correctionnels du Canada (car n’entre pas en pénitencier qui le veut, du moins quand on le veut.) pour finalement se retrouver avec une dizaine de détenus qui cherchent avec beaucoup de sincérité une façon de trouver du réconfort, de se connaître, de trouver une porte de sortie face à cette réclusion assez contraignante qu’implique la vie rugueuse de détenu….Ce sont de belles rencontres que celles que je fais avec ces gars «rough & tough» mais au coeur tendre quand on prend le temps de les entendre et de les écouter et surtout de simplement s’asseoir et fermer ses yeux. Car le simple de fermer ses yeux en prison n’est pas rien ! Des gars vraiment sincères dans leur quête. Qui n'ont d'autre choix que de chercher une façon de trouver en eux-même une porte vers la liberté. Comme nous quoi !»
Conclusion
Les projets liés à la méditation en prison sont très encourageants et ils confirment le fait que le changement de la société commence par le changement de l’individu. Les « criminels » peuvent changer si on leur en donne les moyens ! Je suis persuadé que l’apprentissage de la méditation ou la pratique du yoga peut-être la clé du changement individuel et c’est en plus une forme de réhabilitation peu coûteuse et assez facile à mettre en place.