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DANSES SACREES ET MOUVEMENTS DITS DE GURDJIEFF
par Amiyo Devienne
« Rappelez-vous à vous-mêmes » disait l’enseignant spirituel Gurdjieff, « Revenez vers vous -mêmes » Ceci, soulignait Gurdjieff est essentiel pour introduire liberté et bien-être dans votre vie. Sans cela, « vous êtes en prison », répétait-il, une prison intérieure ou tout ce pourquoi vous vous prenez (mouvements, actions, pensées, émotions…) n’est que le résultat de votre conditionnement.
Nous croyons que le monde tel qu’il nous apparaît est la réalité, alors qu’il est simplement interprétation d’une réalité vue à travers le brouillard de nos réactions, et de nos rêves : « pourquoi me réveiller ? Je suis éveillé ! » Nous croyons que nous sommes maîtres de notre vie et de nos décisions, alors qu’en réalité, il s’agit d’une succession d’activités mécaniques. Nous sommes sans cesse distraits et manipulés, sans cesse incités à suivre une mode, un code de comportement ou un système de croyances.
Comment échapper à cet enfermement ?
La seule issue réside dans la recherche de soi, avec honnêteté, passion, et très important !_ avec humour. Une aide s’avère nécessaire, non pas simplement à travers une connaissance intellectuelle, mais aussi par un engagement physique et émotionnel.
Tout travail de transformation qui n’engage ni ne respecte le corps est frauduleux, car le corps est le temple et le foyer nécessaire à l’être pour y puiser ses racines et s’y épanouir. De la même façon, le courage est nécessaire pour accepter une confrontation sincère avec soi-même, des remises en question et le dépassement de ses limites. Essayer de se réveiller peut être la direction de toute une vie à chaque moment. Les danses sacrées et les mouvements dits de Gurdjieff proposent une voie d’accès privilégiée à la véritable présence à soi-même, génératrice d’éveil et de croissance intérieure.
Pourquoi ces danses sont-elles appelées ’ sacrées ? »
D’une part, elles sont utilisées comme moyen de préservation et de transmission d’une Connaissance considérée autrefois et traditionnellement d’ordre supérieur. Elles représentent certaines lois qui gouvernent l’univers et la vie de l’être humain.
D’autre part, elles concernent le développement intérieur des pratiquants. Notre sommeil, notre esclavage se manifestent à travers l’automaticité et les limitations de nos schémas mentaux et émotionnels, ceux-ci étant eux-mêmes étroitement reliés à notre mécanicité physique. C’est un cercle vicieux. Nous ne réalisons pas à quel point les trois fonctions kinesthésique, émotionnelle et mentale, sont intimement connectées. Un changement de l’une d’entre elles affecte immédiatement les deux autres. À chaque position corporelle correspond un espace intérieur spécifique et vice-- versa, Nous pratiquons de façon inconsciente un certain nombre de mouvements et postures habituels, mais ce nombre est très limité, eu égard à l’immense potentiel du corps. Les mouvements de Gurdjieff, issus des danses sacrées pratiquées depuis la plus haute Antiquité, sont conçus de telle sorte que différentes parties du corps ne se déplacent pas comme à l’habitude selon une ligne de moindre résistance , mais dans un ordre inattendu exigeant l’attention la plus soutenue. Ils conduisent à un équilibre harmonieux : maîtrise du corps, contrôle des pensées et distance par rapport aux émotions. Concrètement, ils ne créent pas des obstacles, comme peuvent le faire les étirements corporels rigoureux de la danse classique ou les exigences d’endurance d’une classe d’aérobie. De cette façon, ils sont accessibles à tous, indépendamment du sexe, de l’age, de la forme physique. Mais dans le mental , ils créent surprise et perplexité : les yeux doivent tourner dans la direction opposée à celle de la tête ; un bras bouge horizontalement, l’autre verticalement ;la qualité du mouvement s’avère tranchante dans une partie du corps, ronde dans une autre partie, au même moment. Cette pratique ouvre des perspectives sur un ordre intérieur nouveau, en enseignant au corps et au cerveau à fonctionner de manière juste et efficace, unifiée, sans tensions inutiles ni pertes d’énergie.
Ainsi les danses de Gurdjieff représentent une véritable « science du mouvement », et c’est une science très exacte dont les effets au niveau physique, émotionnel , et mental, sont exacts. Elles sont aussi mentionnées en tant que Art Objectif, par opposition à l’Art subjectif.
Ici, l’art est utilisé comme un instrument pour amener le supérieur vers l’inférieur, le spirituel vers le matériel. L’Art Objectif est issu de créateurs conscients et produit un effet délibérément recherché, similaire pour toute personne impliquée de façon directe ou indirecte. Il est au service d’un but supérieur : l’éveil de la conscience par l’intermédiaire de l’expérience émotionnelle
Par opposition, l’Art Subjectif provient des associations émotionnelles et mentales de l’artiste, la plupart du temps inconscientes. Il est soumis à une société, à une mode, une époque, et produit des effets différents sur chacun. Son but ne dépasse pas la seule expression de l’artiste, aussi belle soit elle .Les danses de Gurdjieff sont attrayantes pour le regard, mais leur beauté est secondaire. Leur but n’est pas de créer une oeuvre d’art extérieure, mais de structurer le moi intérieur. Aucun des participants ne se considère comme un artiste. Les danseurs sont des personnes qui mènent une vie familiale et professionnelle active, mais elles ont choisi cette voie pour enrichir leur équilibre intérieur.
Que signifie la Présence ?
J’avais coutume de sentir le fardeau de devoir être créative, faire mes preuves, impressionner un public ; de penser que j’étais nécessaire ; de reconnaître ma beauté dans les yeux des autres ; d’être intoxiquée par les attitudes émotionnelles artistiques de chaque spectacle pour, le jour suivant errer vide et perdue, trop heureuse de me précipiter sur le projet suivant ; d’être engagée totalement dans la danse au point de disparaître. Ne restait qu’une flamme extatique. Expansion de l’ego, disparition de l’ego, telle était constamment la danse intérieure.....
La Providence mit sur mon chemin les dix dernières minutes du film de Peter Brook Rencontres avec des hommes remarquables. Ce fut pour moi un choc très intense. Ces danses ne ressemblaient en rien à celles que j’avais vues auparavant, et elles me touchèrent de façon particulière. Elles ne correspondaient, ni à mes idées sur l ‘art, ni à l’aspect dévotionnel des danses sacrées. Pas d’envolée mystique, pas de vision romantique de personnages éthérés. Une confrontation directe avec la terre, en frappant du pied, en comptant, dans la qualité tranchante du mouvement, ou dans son extrême précision. Leur effet paraissait se prolonger bien au-delà de la forme extérieure. Les danses portaient en elles- même l’empreinte intérieure des danseurs. Non pas dans la forme extérieure mais dans l’ACTE D’ETRE Les danseurs devenaient créateurs non d’une danse extérieure mais de leur propre conscience. Ce fut le début d’un voyage : celui de la recherche intérieure.
Un miroir de la vie
Le mental peut très facilement mentir, le corps ne ment jamais : « Ce que vous ne pouvez pas trouver dans votre corps, vous ne le trouverez jamais ailleurs »
Cet adage oriental signifie que l’un des moyens de dévoiler notre réalité peut résider dans l’utilisation du corps immobile ou en mouvement comme miroir réfléchissant. Dès que vous commencez à observer, les messages révélés par le corps deviennent explicites (expressions du visage, rythme de la marche, croisement des jambes, gestes accompagnant la parole ....) Ce n’est pas seulement quand nous sommes confrontés aux demandes des exercices que nous ressentons joie, frustration, excitation, tentation d’abandonner ou de fuir dans les rêves. Tout cela est le socle de notre vie, et cette découverte est parfois douloureuse. Nous sommes surpris de constater à quel point nous sommes maladroits, non centrés, sans contact avec nos racines, sans coordination, dans un corps qui , pourtant, semblait fonctionner suffisamment pour les besoins de la vie quotidienne.
Le corps n’est pas préparé et a besoin d’être éduqué. N’importe qui peut commencer à pratiquer ces danses, mais la préparation doit être progressive. Il faut se rappeler que le but est de conduire à un changement intérieur durable, et le seul instrument efficace est l’attention. Il s’agit d’apprendre à devenir plus conscient de soi-même, en s’appuyant sur les sensations corporelles. Au fur et a mesure de la pratique qui exerce l’entraînement à la conscience de soi, cette qualité d’attention, s’étend à toutes les activités quotidiennes.
L’enseignement
« Rassemblez-- vous ! » insistait Gurdjieff. Les mouvements demandent une concentration totale. Ils mobilisent toute l’attention vers la forme extérieure du mouvement et vers les évènements intérieurs (sensations physiques, émotions et sentiments, pensées). Pendant leur exécution, il se peut que le mental essaie, par habitude, d’avoir son propre élan. Se laisser prendre par des commentaires tels que : « Je ne serai jamais capable de..... » ou : « je suis bien meilleur que... » avec le cortège de pensées qui en découlent, c’est monter dans un train mental qui conduit loin du moment présent. Le choix est toujours : se laisser emporter ou s’enraciner dans l’instant présent, choix constamment mis à l’épreuve dans la pratique des mouvements, et ceci, est l’exercice essentiel
Nous apprenons alors à devenir une unité au lieu d’être une multitude divisée lorsque différentes parties de nous avons des intérêts divergents au même moment. À travers ce rassemblement de soi , nous tendons vers davantage de force intérieure, de clarté et de joie. Car la totalité apporte la joie et elle ne dépend pas tant de ce que nous faisons que de la totalité et de l’intensité avec lesquelles nous nous permettons de vivre.
Si nous laissons le mental nous emporter, nous en constatons immédiatement les conséquences : l’erreur dans le mouvement. Ici, les erreurs ne sont pas condamnées mais utilisées « créativement » pour apprendre à devenir conscients de ces moments où nous nous éloignons de nous-mêmes, manipulés par les pensées et les émotions. Réaliser ceci, c’est déjà revenir vers soi-même, Et il n’y a ni le temps ni l’espace pour s’alourdir dans la culpabilité, ou la condamnation de soi. La vie continue ! Le meilleur choix est de lâcher rapidement cet état de tension qui surgit quand la peur, la soif des résultats, le perfectionnisme interfèrent. Toutes ces tensions entravent la fluidité et le rythme des mouvements. Nous apprenons à nous pardonner nos erreurs et à retrouver fraîcheur et légèreté. De ce fait notre pardon peut facilement s’étendre aux autres. Leurs limitations sont aussi les nôtres... Ainsi naît la véritable compassion...
Une nouvelle qualité relationnelle se développe souvent entre les membres du même groupe de pratique. Un lien subtil, délicat. Il s’agit d’un paradoxe. La séance se déroule principalement en silence pour enrichir la qualité d’attention. La musique seule joue un rôle très important dans l’expérience. Le contact entre les participants se manifeste rarement à travers les échanges verbaux, les explications, les justifications. Il n’y a pas de démonstration extérieure d’amitié au cours de la séance de mouvements. Chacun est totalement avec soi-même, face à soi-même. Cependant, une impression d’harmonie émane du groupe. Pour un moment, les différences s’assemblent et se transcendent au-delà des ego individuels, des identifications et des conditionnements.
Mon expérience m’a montré beaucoup de similitudes entre les mouvements de Gurdjieff et l’approche taoïste : l’inaction à travers l’action : Au début, l’effort est nécessaire, puis, soudain, il disparaît et se trouve remplacé par la sagesse du corps qui s’accomplit d’elle-même : le corps est traversé par un courant qui a sa propre énergie. Il n’y a plus d’interférence, plus « d’acteur » , pas même d’observateur, c’est le lâcher prise total par rapport au pouvoir de l’ego.
Cette pratique crée les conditions d’une observation de soi très condensée. Elle permet le constat de l’oubli de soi, du manque d’attention, de l’errance mécanique et inconsciente des pensées et des émotions, dans le passé et le futur, de l’agitation intérieure. Mais surtout, elle fournit les clés pour ouvrir les portes vers la libération de tout cela.
La persévérance dans la pratique ouvre les perspectives d’un nouvel art de vivre l’instant présent. Cet apprentissage du calme du corps et de l’esprit marque le début de la restauration de l’unité intérieure, et la conquête de la véritable liberté
Les danses sont aussi le terrain de rencontre du Yin et du Yang, des polarités masculine et féminine présentes en chacun, et elles ont le parfum de la tradition tantrique. Au moyen de la discipline, elles s’apparentent au yoga ; au moyen de l’insistance sur la vigilance, au bouddhisme. Les soufies voient Dieu dans les moindres manifestations de la vie. Pour eux, le moindre pas sur le sol est un acte sacré :
Ami, notre intimité est telle :
Ou que tu poses le pied, sens moi
Dans la fermeté sous toi
Rumi
Ceci aussi est un aspect important des danses. La richesse de cette voie offre des possibilités d’envol vers le vaste ciel de la liberté, de la grâce, de l’harmonie et de la paix. Notre être retrouve sa demeure. Nous parvenons aux tréfonds de nous-mêmes. Et la source de vie est toute proche.
Amiyo Devienne