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Interview exclusive de Gaël Métroz, réalisateur du film Sâdhu
par Patricia Menetrey
Pourquoi un tel film ? Quel objectif poursuiviez-vous en débutant sa réalisation?
Le but de ce film est de montrer au delà du folklore, de l'image d'Épinal que montre les magazines, ce qui est présent au dessous de la toge orange, montrer de l'intérieur les tourments et les ambigüités du Sâdhu. J'aime révéler les aspérités des êtres humains au-delà de leur aspect mythique.
En quoi les Sâdhus vous fascinent-ils ? Viennent-ils faire écho à votre propre quête intérieure, même si elle est différente ?
Oui, ils apportent un écho à cette quête, complètement.
Mon premier long métrage cinéma se nommait « Nomad's Land. Pour réaliser ce film, j'ai refait la route qu'un écrivain, Nicolas Bouvier avait parcourue de Genève jusqu'au Shri Lanka avec une Fiat Topolino dans les années 50. Etrangement, cette route m'intéressait moins que les chemins de traverse avec les nomades que j'ai rencontré en Turquie, en Afganistan et au Pakistan.
Déjà à cette époque, j'étais fasciné par la notion du dépouillement, voir si la vie n'est pas plus simple avec moins.
Avec les sâdhus, j'allais dans l'extrême du dépouillement, je rencontrais des renonçants qui ont fait vœu de pauvreté, vœu de chasteté, et qui vivent une vie encore plus démunie que celle des nomades.
Vous déclarez avoir perdu la foi. Ne faut-il pas une foi gigantesque pour réaliser un tel film et passer 18 mois en partageant vous aussi une vie d'ermite ?
Oui, oui, j'ai une grande foi en l'homme, je suis un grand philanthrope. J'ai effectivement perdu la foi - dans le sens religieux - en traversant le désert du Soudan avec un âne. Cela fait dix ans que je réalise des films liés avec la religion ; j'admire ceux qui ont la foi et je les respecte beaucoup. Je pense que la foi est un cadeau que l'on reçoit, qu'on vous enlève, que l'on retrouve. Je n'ai pas une idée très claire pour estimer à quel point je suis moi-même dans cette quête…Et n'ayant pas encore reçu de communications très récentes avec l'au-delà (rires) je m'en tiens pour l'instant à la communication avec les humains.
Ces 18 mois de tournage ont-il changé votre vie ?
Oui, mais de manière beaucoup moins évidente, plus lente, plus souterraine, que mon film Nomad's Land. J'ai encore de la difficulté à mettre des mots sur mes sentiments. Ce qui m'a fasciné, c'est la rencontre avec ces quatre autres sâdhus qui ont fait le pèlerinage depuis Katmandou jusqu'au Mustang, un pèlerinage qui allait durer des mois. Je savais qu'on allait arriver en territoire bouddhiste, qu'il fallait faire l'aumône, je leur disais de garder un peu de leurs provisions. Ils vivaient dans l'absolue confiance qu'ils ne manqueraient de rien, ne gardant rien pour le lendemain, partageant tout : « Dieu pourvoira. » Pieds nus pour un voyage continu jusqu'au Tibet, puis la Chine. Deux ans d'un long voyage, durant lequel ils n'ont manqué de rien. Cela ne veut pas dire absence de souffrance, mais comparons cette foi à notre mode de vie dans un tel confort.
Chez nous, la peur de manquer est omniprésente. Ce régime de la terreur nous le créons nous-mêmes. Nous pouvons nous défaire d'énormément de choses.
Dans ce film, une image m'a beaucoup touché, Suraj quitte sa grotte mais pose un cadenas sur la porte, il se plaint d'avoir accumulé trop de choses matérielles mais protège néanmoins ses modestes biens.
Faire un film demeure ambigu. La tentation est forte d'aller dans le sens d'un personnage toujours plus lisse, plus mythique mais ce passage montre bien, tout Sâdhu qu'il est, la petite touche dissonante, et vient faire écho à la fin du film. A la croisée des chemins entre un personnage religieux qui pourrait aussi bien revenir dans le monde. On le voit quand il fait la fête, fume, boit de l'alcool. Il pourrait même fonder une famille.
Votre caméra paraît être la plus objective possible afin de nous laisser la liberté de ressentir, de projeter notre propre image de cet homme et de sa quête. Est ce délibéré de votre part ?
Depuis une dizaine d'années que je fais ce métier, j'ai adopté un choix éthique. Dans un documentaire, je ne dirige pas mes acteurs, ils vivent leurs vies. S'ils ne sont pas dans la bonne lumière, j'attendrai un autre moment. Tant pis pour moi !
Ce film a nécessité 18 mois de tournage, avec plus de 200 heures d'images.
Lors du montage est présente toute cette phase de la réalisation où j'essaie de reconstruire avec un maximum de vérité, l'image de Suraj, le sentiment , le souvenir que j'en ai , mon interprétation, la sincérité, l'amour sincère que j'ai pour lui, sans voiler les choses. Ce n'est pas facile dans ce métier.
A la fin de votre film, nous sentons Sural prêt à basculer : les rencontres effectuées dans le monde, votre amitié, et cette larme surprenante lors de vos adieux.
Je désire garder la fin ouverte, même si cela peut gêner le spectateur. Bien sûr, on n'est pas habitué à voir une telle fin. Il va falloir digérer ce film. Ce film va peut-être tourner dans nos têtes, nous allons nous poser des questions. Les films qui sont difficiles à intégrer sont souvent ceux qui me touchent le plus.
Interview réalisée par Patricia Menetrey
BIOGRAPHIE
Gaël Métroz est né le 28 novembre 1978 à Liddes, en Suisse. En 2004, il obtient une Licence en littérature française, philosophie et histoire de l'Art à l'Université de Lausanne. Il obtient plusieurs prix littéraires dont le Prix de la Sorge en 2004 et le premier Prix Nicolas Bouvier en 2008. Après avoir écrit et mis en scène la pièce L'Enfant Déchu, il décide de se focaliser sur les métiers d'auteur-réalisateur et journaliste.
Gaël tournera autour du monde afin de donner le temps au voyage de s'exprimer en parcourant plusieurs pays, comme l'Ethiopie, le Soudan, l'Egypte, la Birmanie, la Turquie, l'Iran, le Pakistan, l'Afghanistan, la Chine, l'Inde, le Népal…En qualité de journaliste, il publie ses carnets de route autant à la télévision (Passe-Moi les Jumelles, TSR), à la radio (Un Dromadaire sur l'Epaule, RSR), que dans la presse écrite (Le Nouvelliste, La Liberté, L'Express, L'Impartial, Le Journal du Jura, Le Courrier, L'Illustré…).
En 2008, il réalise son premier long métrage cinéma NOMAD'S LAND – sur les traces de Nicolas Bouvier qui a réuni plus de 40'000 spectateurs en Suisse. Le film a été primé entre autre par le prestigieux Golden Gate Award pour le meilleur documentaire au Festival international du film de San Francisco. Aujourd'hui Gaël Métroz présente son deuxième long métrage cinéma intitulé SADHU, le portrait d'un saint homme hindou qu'il a suivi pendant plus d'une année.
FILMOGRAPHIE
2012 Sâdhu – long métrage doc
2010 Kalash, les derniers infidèles du Pakistan – doc tv
PRIX DU PUBLIC Rassegna Internazionale Cinema Archeologico, 2011
2008 Nomad's Land – sur les traces de Nicolas Bouvier – long métrage doc
GOLDEN GATE AWARD, San Francisco International Film festival USA, 2009
PRIX DU PUBLIC, Festival Planeta 2009, Mexique
PRIX DU MEILLEUR REALISATEUR, Festival de Qinghai, Chine 2010
PRIX DU MEILLEUR FILM, Festival de Qinghai, Chine 2010
2006 L'Afrique de Rimbaud – doc tv