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Sagesse et Business
avec Bernard Ortega
Bernard Ortega (Lama DuDül Dorje) enseigne la méditation tibétaine et coache les tops managers sur la Maitrise et Comportement en Communication et la gestion du stress.
MF : Vous avez écrit un livre qui s'intitule "Sagesse et Business", est-ce une provocation ?
Non pas une provocation mais une évidence. Nous n'avons jamais vu marcher une tête toute seule dans la rue, et un corps sans tête, réservons le aux films d'horreur. On peut évoquer d'autres synonymes à Sagesse et Business: masculin/ féminin, Ying et Yang, esprit et corps. La dualité est un problème récurent en Occident ou nous pensons encore, noir et blanc, diable et bon dieu. Dans le mot sagesse, il y a la résonnance du "bon sens" et dans celui de business, il y a celui de l'activité. Il n'y a pas d'opposition, mais complémentarité. La sagesse féminine n'est pas l'ennemie du business masculin. C'est lorsque l'homme et la femme sont en osmose qu'ils créent des enfants parfaits.
Pensez-vous vraiment qu'il peut y avoir un pont entre les valeurs de la sagesse et de la spiritualité et les valeurs du monde du business et des entreprises ?
Tout est en interdépendance. Nous le voyons encore de nos jours. Un excès entraine d'autres excès et réciproquement. La spiritualité n'est pas la propriété d'une église ou religion. C'est un mode de vie ou l'humain est au centre. Dès que l'on s'éloigne du centre, c'est le précipice. Il faut organiser une grande rencontre spirituelle avec tous les acteurs du monde humain : religieux, philosophique, social, économique, politique. La confiance est elle liée au monde du business ? Certainement pas, et pourtant si la confiance (l'autre cousine de la foi) est absente, le business tremble et ne peut s'épanouir. Nous avons donc le devoir d'expliquer le sens du mot spiritualité afin que tout le monde adhère à ce monde. Il ne séparera en rien le monde du travail (en français dans la traduction). Il en sera au contraire sa lettre de noblesse, et permettra de vivre mieux.
Vous coachez des managers qui ont des responsabilités importantes. J’ai lu que vous aviez travaillé avec des sociétés de premier ordre, telles que Saint Gobain, Otis, Total, Suez, Alsthom, etc. Quel est l’essentiel de votre message quand vous vous adressez à ces managers d’aujourd’hui ? Ou dit autrement, que vous demandent-ils ? Quels sont leurs besoins en général ?
Il y a une expression qui résume parfaitement nos actions concernant les attentes des top managers. Deux mots que mes maîtres tibétains emploient souvent : moyens habiles.
Il n'est pas si aisé de faire du bien aux gens. D'abord parce que vous devez bien maîtriser votre expérience, ensuite parce que les gens ne sont pas toujours prêts. Au départ ces managers viennent pour perfectionner leur capacité à communiquer. Mon métier d'origine d'acteur et directeur d'acteurs m'ont donné les compétences requises. Et, celle et ceux qui ont l'expérience de mon métier savent pertinemment que nous n'exprimons que ce que nous sommes. En résumé pour communiquer et parler clair nous devons posséder un esprit clair et non encombré. Les managers comprennent donc tout naturellement que la méditation est un élément majeur pour permettre au mental d'être calme, avant de prononcer les mots qui vont être si importants dans leur domaine. La pression étant un élément récurent de leur responsabilité, ce sas de décompression proposé, ajouté à des techniques de communication répondent parfaitement à leurs besoins.
Il me semble que parfois (et même peut-être souvent) l’intérêt purement économique ou financier ne va avec la voie du cœur, la voie de la sagesse. Comment faire pour réconcilier les deux ? Est-ce qu’il ne faut pas aussi accepter de perdre en efficacité pour gagner dans d’autres domaines liés au bien-être de l’individu ?
Par expérience nous savons que nous ne pouvons changer le monde sans une extrême patience. La maturité n'est pas au pouvoir, ni l'intelligence du cœur sinon le monde ne saignerait pas comme il saigne. Cependant dans l'ombre des images télévisuelles il y a beaucoup d'hommes et de femmes qui œuvrent à ce changement de comportement. Qui œuvre à nous faire comprendre que le bonheur ne réside pas uniquement dans la satisfaction matérielle. Par leur exemple, leur abnégation et leur sens du service, ils sont des pionniers du monde de demain. Les grands groupes ne voient encore que leurs intérêts économiques, mais les grands groupes comptent, au milieu d'eux des hommes et des femmes qui ouvrent leur conscience. Lorsque ces hommes et ces femmes seront majoritaires le monde matériel vacillera. Il faudra encore du temps. Quant à l'efficacité, il est prouvé depuis longtemps qu'elle se manifeste autant par la pleine conscience des actes que nous réalisons, que par un rythme effréné, qui est un leurre pour faire croire que nous sommes actifs. Ici aussi, beaucoup de managers en prennent conscience, d'où leur intérêt accru pour la méditation. Ils comprennent que s'asseoir c'est marcher différemment.
Dans certains pays….il y a déjà des entreprises qui ouvrent des salles de méditation pour leur employés. Est-ce que vous avez déjà vu un manager français qui a pensé à proposer la méditation à ses employés ?
Dans les managers que je coache, en effet, si ce n'est de la méditation qu'ils introduisent auprès de leurs équipes, ils proposent certains moments de silence avant une réunion. C'est le début d'un changement de comportement. Et la France n'est pas en tête, pour ce genre d'exercices. Mais, les livres, les médias évoquent de plus en plus cette discipline. Il ne faudrait évidemment pas que cela se développe comme un programme de mode. Mais, lorsque j'évoque le guerrier samouraï qui, sans ce calme mental, ne rentrait pas chez lui après la bataille, ils comprennent que la méditation est une bonne préparation à l'activité. Le calme n'est pas la torpeur. C'est un calme très dynamique.
Vous proposez de mettre en pratique la méditation, est-ce que ce ces cours s’adressent autant à des méditants expérimentés qu’à des novices ?
Il est évident que j'organise plusieurs cessions avec des pratiquants avancés et avec d'autres plus débutants. Mais ce n'est pas la première fois que je mélange et pas la première fois non plus que les plus anciens sont ravis de ce mixage. Ce n'est pas le nombre d'années qui traduisent le bon pratiquant. On peut rester assis sur son coussin en peignant sur son visage le sourire du Bouddha, pendant des années. Alors que le conflit intérieur ne cesse pas, et que l'égo est toujours fortement en place. Si ce n'est encore plus en place car le pratiquant a développé ce qu'on nomme "l'orgueil du méditant". (Celui qui est différent)
Le diplôme du bon méditant ne se reconnaît que par un aspect. La joie naturelle qui se dégage de cette personne et l'envie que nous ayons d'aller vers elle.
Interview réalisée par Emmanuel Moulin