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Changement et transformation de soi

Lionel Cruzille

par Lionel Cruzille

Le changement de soi tient sur deux grandes dynamiques, si nous nous plaçons du point de vue du travail spirituel et admettons qu’il y en a bien un à mener. L’une des dynamiques dépend de nous, l’autre pas du tout. Mais comme il serait facile pour l’ego de faire « la moitié du boulot » en se cachant derrière ce prétexte, il convient de faire comme si tout dépendait de nous et relever nos manches même si ceci relève de l’illusion au final. Nous pouvons alors nous demander ce qui relève vraiment de notre effort ? Est-ce l’ego qui veut dépasser l’ego ? En un sens, oui. Au début du chemin spirituel, il est presque inévitable que ce soit l’ego qui chemine. Mais ceci sera remis en question un jour si nous sommes engagés corps et âme sur une Voie authentique.

Les véritables freins au changement de soi sont notre conditionnement mental, nos habitudes émotionnelles, nos tensions physico-énergétiques et leurs liens mutuels entraînant à leur tour toute la mécanicité. Cette mécanicité on la nomme aussi « Sommeil », non-éveil. Nous avons oublié que ceci n’est pas vraiment nous. Cet état de sommeil et de mécanicité n’est pas notre véritable nature profonde qui est la Paix. C’est pour cela qu’il y a un travail précis pour ôter tout ce qui recouvre notre véritable nature qu’on la nomme : le Soi, le Royaume des Cieux au-dedans de nous ou encore la Nature de Bouddha (etc.). Et c’est aussi pour cela que certaines voies insistent sur cette idée de se « souvenir », en d’autre terme ne pas oublier cette Nature véritable cachée.

La spiritualité n’est pas un domaine comme les autres. Sur la Voie, il nous est impossible de nous voiler la face car il s’agit de nous avec nous-même mais aussi -et en même temps- de nous et du Divin. On peut se cacher des autres et jouer un jeu, mais l’enjeu est notre propre libération. Il n’y a aucun faux semblant qui tiendra dans le temps car l’Univers, ou le Divin si vous préférez, mettra cela en lumière, tôt ou tard. C’est bien entendu une dynamique infiniment compatissante, en vue de nous en libérer même si parfois le processus peut être ressenti comme désagréable. Cet aspect désagréable est comparable à une plaie que l’on désinfecte. C’est pourtant toujours pour le mieux que l’on soigne mais le process est parfois loin d’être confortable.

Si la spiritualité n’est pas un domaine comme les autres, c’est surtout parce que ce n’est pas un domaine en soi. Ce n’est pas quelque chose qui est extérieur à nos vies. C’est la Vie même. C’est le cœur même du chemin qui permet de nous révéler notre nature profonde.

La vie spirituelle est tout de même régit par des lois qui correspondent au monde humain. Et en l’occurrence, celui qui ne pratique pas activement ne progressera pas. Je laisse par là-même ici toute la mouvance moderne arguant qu’aucun progrès n’existe pour le disciple et que nous n’avons rien à faire puisque nous sommes déjà ce que nous sommes au fond de nous. Certes, c’est d’un certain point de vue exact, mais cette réalité profonde est voilée par l’illusion, la saisie de l’ego, les émotions, les empreintes karmiques etc. Il y a donc un travail pour ôter, alléger, défaire ces voiles d’illusion.

Alors, nous pouvons nous demander, comment nous sentons-nous avec l’idée d’un travail sur soi profond a mener sur le long terme dans une voie précise ? Autrefois, les écoles de Mystères se cachaient, les grands maîtres étaient retirés loin du monde et il fallait suer sang et eau pour les trouver puis autant ensuite se faire accepter auprès d’eux. Aujourd’hui, il est trop souvent admis certaines facilités qui au final desservent entièrement la quête véritable. Bien sûr, il ne fait aucun doute que les temps changent et que l’humanité évolue très rapidement, mais ne soyons pas dupes. Cette évolution n’évite guère les écueils du mental, vieux comme le monde. Le monde de la spiritualité moderne regorge de recettes toutes faites et de promesses de retrouver le bonheur en trois jours et dix leçons. Peut-on vraiment croire encore que tout nous est dû, qu’aucun effort n’est nécessaire ? Alors même que dans tous les autres domaines de notre existence nous voulons tout, tout de suite ? Le piège est tellement gros pourtant l' « ego spirituel » se jette dedans à cœur joie ; malheureusement pour le chercheur sincère. Le discernement et une certaine maturité – non dépendante forcément de l’âge- sont donc nécessaires pour un engagement du cœur.

Il existe plein de chemins spirituels authentiques, religieux ou non. Tous comportent une « pratique » et donc un « pratiquant ». Quand je parle ici de « pratique », j’évoque ce qui est commun à la plupart des Voies spirituelles et qu’on nomme ascèse. Celle-ci comprend des éléments qui sont -à doses plus ou moins grandes- : la vigilance/présence à soi et au monde, la discrimination et la libération des pensées, un travail sur la purification des émotions, un travail de détente et d’activation énergétique du corps, la dévotion, la connaissance ancienne. Tout ceci pouvant se présenter sous différentes formes telles que : yoga ou qi gong ou autre, danses, transes, un art de méditer, de manger, de soigner, le service, l’étude des textes sacrés etc. pourvu qu’il en ressorte une réelle cohérence sur l’ensemble et, par-dessus tout, un travail sur les trois corps ou trois centres.

Voilà ce qui fait le changement : c’est l’engagement corps et âme sur une Voie véritable proposant un travail sur les trois centres. Ceux-ci sont le corps physique (comprenant le centre sexuel), le corps émotionnel et le corps mental. C’est la raison pour laquelle si l’on observe tant soit peu les spiritualités anciennes et traditionnelles, nous ne manquerons pas de voir qu’elles allient toutes un travail sur les trois centres, avec parfois des accents préférentiels mais laissant néanmoins la place à chacune. Par exemple, il est évident que les Yogi mettent un fort accent sur le travail sur le corps, mais normalement l’émotionnel et le mental ne sont pas laissés complètement à l’abandon. Et si le moine, ou le sannyāsin, travaille nettement plus sur le mental et l’émotionnel, le corps est mis à contribution soit par le travail en présence au jardin ou aux champs, soit encore par les génuflexions répétées ou encore les chants liturgiques etc. Le corps est donc toujours une composante présente.

Vient ensuite l’aspect de la transformation. Les changements répétés et appliqués en conscience de manière cohérente amènent ce qu’on peut nommer la transformation. La transformation de soi, donc le point culminant du changement, ne fait pas l’économie de ce travail sur les trois corps (ou centres). Si parfois des êtres s’éveillent spontanément, n’oublions pas de remettre en perspective et de voir que soit ce travail a été fait ou plutôt a culminé dans cette vie et n’est donc que la continuité (relative certes, mais tout de même présente) d’un travail étalé sur plusieurs existences. Travail qui d’ailleurs ne s’arrête pas là. Cet aspect des vies antérieures ne pouvant être mis en avant de manière certaine, en tout cas la plupart du temps, nous pouvons par contre en conclure qu’il est nécessaire de partir de là où nous en sommes pour commencer le travail plutôt que de tenter de faire fi de certaines parts de soi et nous leurrer. L’évidente sagesse des Anciens devrait être vue clairement pour ce qu’elle apporte ici et nous permettre donc d’appliquer ces Voies qui proposaient des approches cohérentes et évolutives sur les trois centres. Dès lors, partir de ce qui est physiquement, émotionnellement et mentalement, permet de suivre notre chemin, quel que soit celui-ci, en partant d’une base certaine : la réalité, ici et maintenant. En résumé, partir de là où nous en sommes, ni plus ni moins.

C’est l’acceptation de ce qui est en nous -et en dehors de nous-, sans fioriture, sans déni et bien sûr sans jugement, qui permet de progresser sur la connaissance de soi au niveau de chaque centre. Voir de manière nue là où nous en sommes demandera sans aucun doute l’aide d’un guide, au moins pendant un temps. Son regard et son aide seront un miroir nécessaire pour nous voir clairement et donc faire avec ce qui est (tout ce qui est et non uniquement ce qu’on pense qui est). Cela permet de voir que le travail sur les trois centres est ce qui permet de se changer, et éventuellement se transformer de fond en comble. C’est précisément ce que proposent les voies spirituelles anciennes : une guidance et un travail cohérent et répété sur les trois centres.

La transformation peut donc être la résultante de toutes ces pratiques. Elle est la culmination du changement véritable. Mais le plus important est, à nouveau, que celle-ci ne dépend pas nous. La transformation de soi ne dépend pas de l’ego qui besogne pour changer. La transformation est l’œuvre du Divin, de la Grâce, de l’Univers si vous préférez. Nous faisons notre part d’effort sur les changements, bout par bout, sincèrement, pratiquant le cœur ouvert et, un jour, notre travail porte ses fruits et le changement qui se situe sur une dimension plutôt horizontale provoquera une « saturation » puis une « cristallisation » qui aboutira à la transformation de soi et à un changement d’état, qui lui est « vertical ». La transformation nous amène dans une nouvelle phase de croissance intérieure. La transformation de soi est donc un résultat supérieur à la somme des parties. Elle est transcendance, verticalité.

Elle est le résultat d’un effacement, d’un allègement, pour laisser le Divin se révéler en nous.

Pendant tout le process, il y a des aller-retours, parfois même des impressions de régresser. Cela est quasi inévitable car le chemin demande que pour croître et s’élever, il faut s’effacer et descendre ; descendre en soi, dans nos profondeurs et s’enraciner dans notre incarnation. Pour goûter à la Lumière, il faut goûter l’Ombre. Être parfaitement humain pour retrouver notre parfaite divinité. C’est ce que les Anciens appelaient par exemple la « Nuit obscure de l’âme », « le grand Doute » et plein d’autres termes encore. C’est la tentation du Christ dans le désert ou la visite des démons au Bouddha lors de son éveil sous l’arbre de la Bodhi. Toute la littérature et les témoignages spirituels regorgent de ces récits, si l’on veut bien les voir. Ces exemples relèvent d’un niveau avancé mais le processus est le même. Plus grande est « l’ouverture », plus profond est le défi (ce qui ne signifie pas du tout qu’il faut aimer ou s’adonner à la souffrance).

Mais prenons plutôt un exemple simple et concret pour illustrer cette impression de reculer parfois. Nous débutons la méditation plein d’entrain, cherchant la paix, le bien-être et la détente. Et très vite, nous nous retrouvons face à des peurs, des pensées qui tournent en rond, des tensions physiques ou émotionnelles. Si nous n’observons pas cela avec recul, nous pouvons rapidement prendre peur et abandonner. Mais si nous sommes accompagnés d’un maître ou un guide authentique, il ne manquera pas de nous montrer qu’au contraire, d’un certain point de vue, c’est une excellente nouvelle car nous avons pris conscience enfin de notre « prison ». Nous avons vu où étaient notre tension et notre mécanicité. Et là où nous voyons notre tension, nous pouvons nous en libérer. Là où nous voyons notre croyance fausse nous pouvons voir ce qui est. Là où nous voyons notre nœud physique, nous pouvons nous détendre. Comment pourrions sortir de notre prison si nous ne la connaissons pas ? Voilà un aspect qui dépend de nous. C’est cela aussi que le Christ ou le Bouddha affirmaient que la Voie de l’Eveil et de la Paix intérieure était ouverte à tous.

Ce dont il faut se souvenir avant toute chose c’est qu’une des particularités du chemin spirituel est qu’il n’est pas linaire. Nous avancerons, approfondirons, stagnerons, reculerons en apparence, mais si notre engagement est sincère et profond, nous ne cesserons pas « d’avancer ». La « progression » -si l’on peut s’exprimer ainsi- est à la fois verticale et spiralée. Mais cela encore importe peu. Il ne vaut mieux pas que le mental s’empare encore de cela pour déformer, juger et comparer. Ce qui importe, c’est de persévérer et de lâcher prise. La transformation aboutira, tôt ou tard –dans cette vie ou dans une autre-, le plus sage est de ne pas s’en faire. Il s’agit même d’abandonner à chercher à se situer sur une échelle (illusoire) de progression.

Alors que faire ? Il convient de faire avec ce qui est, tel que c’est ici et maintenant. Voilà à nouveau le point de départ toujours disponible : l’instant présent, le constat de ce qu’on ressent, de nos émotions et de nos pensées si nous parvenons à les voir. Donc, il n’est pas question véritablement de « faire » mais « d’être », sachant que « être » peut impliquer le « faire », alors que l’inverse n’est pas forcément vrai.

Partant de ce qui est, nous ne pouvons pas nous leurrer, nous tromper. C’est un chemin d’humilité, de simplification, d’abandon. De confiance aussi. Confiance en la Voie que nous suivons, confiance en notre instructeur spirituel, confiance en nous-même.

La Voie nous libère, nous allège. Cela ne se fait pas sans heurt parfois. Mais Elle nous amène à vivre à un autre niveau. Au début, nous partons clairement et bien évidement de l’ego. L’ego veut être « spirituel », bien évidement. Il veut même s’éveiller de lui-même alors qu’il s’agit là d’une impossibilité. Mais si cela est dépassé, entre autres grâce à l’accompagnement d’une voie authentique et la pratique sincère du disciple, alors le chemin continue.

Alors, enfin, qui pratique ? D’abord l’ego, puis, à force d’effort, d’allègement et d’abandon et de confiance ce sera la dynamique que l’on nomme « disciple intérieur » qui pratiquera. C'est-à-dire une force, une qualité d’être différente en soi, totalement étrangère aux multiples facettes de l’ego. C’est elle qui permettra de laisser passer la Lumière du Divin en nous, simplement parce que celle-ci n’est pas différente d’Elle. Elle émane d’Elle. La boucle se boucle peu à peu.

Voilà aussi pourquoi la Voie est ouverte à chacun. D’un côté, il y a l’effort en conscience, le pas que nous faisons pour avancer ; et de l’autre côté il y a la voie éternelle toujours disponible. Il y a l’effort et la Grâce. Puis un jour, il n’y a plus deux mais Un.

Lionel Cruzille