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Tantra, frémissement, sexualité, relation
Par Laurence Heitzmann et Laurent Lacoste
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Il n’est pas toujours nécessaire de suivre de longues et fastidieuses études et transmissions dans le cadre de « lignées authentiques », pour animer des stages et diffuser la voie du Néo-Tantra. Nombreux sont ceux qui, dans l’enthousiasme et la fébrilité de la découverte de cette voie étonnante se décrètent enseignants de Tantra du jour au lendemain. Et ce n’est pas nous qui aurons à redire à ce propos tant il nous paraît important de ne pas freiner cet élan créatif qui témoigne de la justesse de notre courant face aux errements du Kali Yuga (âge noir de Kali dans lequel nous nous situons – c’est l’âge au cours duquel, selon la cosmogonie tantrique, les hommes se sont éloignés des dieux). Nous croyons plutôt à la capacité de l’existence à réguler naturellement ce qui doit l’être.
Ce moindre cadre favorise la fluidité et la flexibilité des contenus des enseignements. Il génère créativité et donc diversité et variété. Il permet le bouillonnement, le foisonnement que l’on ressent lorsqu’on observe le paysage du Néo-Tantra en France et dans le monde. Il y a, de fait, autant d’enseignements que d’enseignants et derrière le mot Tantra, on trouve littéralement de tout. Et même, de temps en temps, il a bon dos le Tantra. Tel va l’utiliser pour justifier ses comportements, tel autre ses choix personnels. Soyons clairs, le Tantra n’explique ni ne justifie rien. Surtout pas les nouveaux concepts que le développement personnel vient quelquefois substituer aux anciens.
Notre but, par cet article, est d’aborder un certain nombre d’idées reçues quant à la relation et à la sexualité, afin d’éviter, nous l’espérons, que de ces nouveaux concepts (dont nos esprits humains sont friands tant ils en tirent de confort et de sécurité) ne se réintroduisent dans cette belle discipline où liberté, vitalité, déprogrammation, expérience et conscience seraient les seuls et maîtres mots.
Tantrisme, relation et poly-amour
Le petit monde du néo-tantra véhicule nombre de recommandations sur les sujets de la relation et de la sexualité. Facebook semble avoir accentué le phénomène. Afin d’éviter toute incompréhension, arrêtons-nous un instant sur quelques points de fond : le Tantrisme est avant tout une voie personnelle vers l’éveil. Un cheminement intérieur vers l’illumination c’est-à-dire sans doute la perception profonde que rien n’est séparé et que tout est conscience. Il n’a donc a priori rien à voir avec la question de la relation et ce n’est pas non plus un cours d’éducation sexuelle. Certes, le Néo-Tantra s’est donné beaucoup de liberté et c’est très bien ainsi. Notre seule difficulté serait que la doctrine tantrique soit utilisée pour justifier des choses qui lui sont étrangères.
Du fait que certaines voies traditionnelles font de la pratique de la sexualité l’un des rituels sacralisant et symbolisant cette recherche mystique, l’occident et le Néo-Tantra ont rapidement associé le Tantra à une recherche par rapport à la relation et à la sexualité. La méprise a été renforcée par la croyance que l’union de Shiva et de Shakti devait se réaliser obligatoirement dans la méditation sexuelle entre un homme et une femme. Tel n’est pas le cas. Pour la plupart des courants tantriques, Shiva représente la conscience à l’état non manifesté et Shakti, l’énergie vitale. Leur union représente l’idée qu’il n’y a pas de séparation entre la conscience et l’énergie vitale qui sont l’essence de toute chose et que de cette connaissance découle l’expansion de la conscience et l’éveil. Lorsque cette union entre Shiva et Shakti est perpétuée dans l’accouplement, c’est afin que les pratiquants s’absorbent dans cette sensation, dans ce frémissement du désir, dans la joie intense de la satisfaction qui est la porte de l’éveil. Mais ce n’est pas la seule source du frémissement, du Spanda.
Pierre Feuga dit, dans son commentaire du Vijnana Bhaïrava Tantra, superbe de précision à propos de la stance 48 « Revoyant un parent après une longue séparation, quelle immense joie ! Que l’on médite sur cette félicité qui vient de jaillir, qu’on s’y absorbe, que la pensée s’identifie à elle.» : « En tout désir, en toute passion, - commente Pierre Feuga - ce qu’il importe de capter, c’est l’éveil, le premier frémissement, l’aurore, avant que la pensée n’ait classé et nommé l’énergie ». Voilà de quoi il s’agit. Il ne s’agit pas de sexualité, mais de frémissement. Le capter et ne plus s’en détacher.
De ce fait, rien des croyances relationnelles ou sexuelles véhiculées dans le monde du développement personnel ne saurait être justifié par le Tantra. On voit, par exemple, beaucoup de Tantrikas revendiquer le poly-amour ou bien une sexualité débridée au nom du Tantra et de la liberté qu’il est supposé professer. Pas d’accord, pas plus que de se revendiquer monogame au nom du même Tantra. La liberté du Tantra se vit au-delà de la forme car elle est intérieure. Le Tantra nous propose de ne nous fixer sur rien, aucun concept, aucune posture toute faite. A toutes les personnes qui ne font pas souvent l’amour, nous dirions alors, comme Margot Anand au début de ses stages, faites l’amour. A toutes les personnes qui font beaucoup et souvent l’amour avec beaucoup de personnes sans trop approfondir la relation, nous dirions : faites-le moins souvent et voyez comment c’est pour vous de changer et d’approfondir le lien. Le Tantrisme n’est pas poly-amoureux au sens de la relation entre les individus. Il est omni-amoureux au sens d’accueil total de ce qui est comme partie de ce frémissement suprême de la conscience.
Tantrisme et relation de couple
Evidemment, la vision Tantrique de la relation et du couple s’éloigne considérablement de ce que véhicule notre environnement socio-culturel. La notion d’engagement, en particulier est différente. Pour le Tantrika, l’engagement amoureux, même s’il n’est pas exclu, se réévalue à chaque instant, de même que toute chose. Expérience, et surtout, conscience concrète dans l’expérience. Aucun texte Tantrique, à notre connaissance, ne dit qu’il convient de s’engager pour la vie avec quelqu’un. C’est d’ailleurs, de fait, également une réalité dans notre société contemporaine, y compris pour les non-Tantrikas. Combien de couples constitués tiennent-ils aujourd’hui ensemble toute une vie ? La statistique des séparations vient bien souvent faire mentir l’engagement pris devant la société ou bien la religion par le mariage ainsi que les belles promesses des romans à l’eau de rose.
Certaines formes de Tantra évoquent une notion de partenaires de quête, de partenaires d’éveil qui s’accompagnent dans la durée. Ce type de relation va au-delà du ou de la partenaire sexuel/le de rencontre qu’évoque le rituel tantrique indien de Maïthuna. Il s’agit de deux êtres qui pratiquent ensemble pour atteindre leur réalisation. Il ne s’agit pas du couple au sens judéo-chrétien du terme. Il s’agit d’engagement sur un chemin de conscience et de vitalité (énergie) : c’est une attention totale donnée, à chaque instant, à l’Expérience et dans laquelle l’autre est le miroir qui nous rappelle inlassablement à la réalité de ce que nous sommes.
Le bouddhisme Tantrique met en valeur cette notion de partenaire de quête. Lorsque le bouddhisme se développe en Inde, au cours des siècles, il gagne toutes les couches de la société, côtoie d’autres cultures et en vient, à son apogée, à assimiler le culte de la déesse mère. Naissent alors les courants tantriques du bouddhisme par lesquels le pratiquant, ne rejetant plus les sens ni les émotions tels le plaisir et le désir, les utilise comme des moyens d’atteindre l’éveil. Les déités et les maîtres sont dès lors représentés avec leurs compagnes, et la quête de lumière par leur union sexuelle. La pratique peut désormais intégrer la sexualité et certains pratiquants s’associent à une compagne dans leur recherche. L’exemple le plus connu est celui de Bouddha Padma Sambhava (Pema Jungne) qui sollicita, de la déesse Sarasvati, l’émanation de sa consort Yeshe Tsogyal afin de poursuivre la diffusion du bouddhisme tantrique au Tibet et au Népal. Les partenaires tantriques se rencontrent, non comme un homme et une femme, mais comme des déités représentatives de polarités duelles et se font à chacun l’offrande de leur union.
Aujourd’hui, l’on pourrait dire que lorsqu’il est pratiqué en couple, le Tantra s’assimile à ce type de quête. Le couple n’est plus considéré dès lors comme la chose sociale qui engage deux êtres à partager leur vie mais, à un autre niveau, comme un terrain d’expérience. La relation devient ce laboratoire expérimental au sein duquel les deux pratiquants s’exercent à organiser l’expansion de leur vitalité et de leur conscience.
Le Tantra, pratiqué dans le couple, nous offre la possibilité de réaliser notre essence en révélant peu à peu les blocages émotionnels et énergétiques qui nous empêchent de vivre pleinement ce que nous sommes, c’est-à-dire notre divinité. Après les avoir mises à jour, la pratique nous permet de traverser ces stagnations.
La relation est riche d’enseignements car elle devient le réceptacle de ce dont chacun des partenaires est constitué. La pratique tantrique enrichit ces enseignements car, en proposant d’unir les deux polarités, elle permet d’aller au-delà de la dualité et de la stagnation. Mais, l’union sans la conscience n’est pas un processus créatif. De ce fait, par les pratiques, par l’attention placée dans chaque moment de la vie, en particulier à deux, le Tantra offre la possibilité d’apprendre et de faire grandir sa conscience. Le couple est donc une formidable occasion de mettre en place ce laboratoire tantrique dans sa vie de tous les jours.
Lorsque la conscience, c’est-à-dire notre attention, est placée dans chaque détail de ce qui fait le quotidien du couple, lorsque le dialogue entre les deux partenaires est fluide et libre, c’est-à-dire que tous les ressentis peuvent être exprimés sans heurts, la sexualité, qui n’est que le reflet de la relation devient elle-même libre et permet à chacun d’exprimer sa vitalité. C’est par cette vitalité, cette shakti, c’est-à-dire cette énergie, unie à la conscience (Shiva) que le tantrisme croit que l’on atteint l’éveil.
Tantrisme et homosexualité
Alors faut-il absolument qu’il y ait un homme et une femme ? Indéniablement, les voies traditionnelles présentent les choses ainsi. La pratique méditative, lorsqu’elle est réalisée à deux, s’y déroule entre un homme et une femme.
Le Néo-Tantra, c’est-à-dire le courant contemporain, adossé à la vie d’aujourd’hui, ne saurait rester figé sur la croyance que la pratique de notre voie est réservée à des êtres de sexes différents. La quête tantrique est surtout une voie intérieure d’union des polarités. Elle dit que ces deux polarités masculines et féminines sont représentées en chacun d’entre nous. Et que c’est là, d’abord, qu’il faut en réaliser l'équilibre puis l’union.
Les pratiques que nous proposons doivent ainsi pouvoir être accomplies par deux hommes ou deux femmes ensemble. Certaines écoles de Néo-Tantra homosexuel se sont développées. C’est une bonne chose si elles facilitent l’accès à la voie tantrique de personnes qui n’osaient pas franchir le pas du fait de leur préférence sexuelle. Toutefois, notre idéal serait plutôt qu’homosexuels, transsexuels et hétérosexuels puissent (et c’est déjà le cas, un peu) partager les mêmes stages. Que les hétérosexuels puissent pratiquer entre eux mais également pratiquer avec des personnes du même sexe et que les homosexuels puissent pratiquer entre eux mais aussi avec des personnes de l’autre sexe.
Le Tantra est un chemin d’éveil parce qu’il renverse les concepts et ne leur substitue rien.
Laurence Heitzmann et Laurent Lacoste
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