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Le jeûne : redonner sa place au corps.

se reconnecter

Par Jean-Pierre Jamet

Le virtuel s’impose sans égard pour les cycles de la vie.

Notre monde est de plus en plus virtuel. Les communications se font presque instantanément par mail, par chat, SMS. Les relations se vivent sur Facebook, Google+, les rencontres s’organisent sur les sites spécialisés. Nos achats se font dans des magasins virtuels sur Internet. Il est inconcevable de ne pas avoir un site Internet si l’on veut proposer quelque chose. Une part de plus en plus importante de nos actions se déroule dans une nébuleuse de câbles électriques et d’impulsions codées. C’est le monde virtuel.

Les rythmes s’accélèrent, les distances se réduisent, tout est accessible 24 heures sur 24 et 365 jours par an. La conséquence est l’augmentation du stress, des burnout. La perte du sens, le narcissisme, la recherche fébrile d’une compensation à cette pression permanente en sont les conséquences. Et puisque l’humain atteint ses limites, il faut l’améliorer, transformer son génome, remplacer par des prothèses les membres perdus, recréer les organes endommagés à partir de cellules souches, enrichir la mémoire par des injections dans le liquide cérébral et de même supprimer les traumatismes, bref créer des transhumains où le corps n’aurait plus aucune importance, ou le corps serait interchangeable… les créateurs de la Silicon Valley en rêvent. L’immortalité !

Se reconnecter devient urgent

Mais nous sommes là, avec notre corps qui n’est pas virtuel, avec ses faiblesses et ses habitudes, avec sa complexité et sa simplicité dans son rapport avec la nature. Et nous nous épuisons à suivre un rythme qui n’est pas le nôtre. Peut-on imaginer une machine qui n’aurait pas besoin de temps en temps d’être arrêtée pour révision, une maison qui n’aurait jamais besoin de réparation, une voiture qui n’irait jamais au garage ? C’est pourtant ce que nous imposons à notre corps.

Le jeûne permet à notre organisme de démarrer des processus de nettoyage et de réparation. Mais à son rythme qui est le rythme de la nature, c’est-à-dire un rythme lent par rapport à notre soif d’efficience.

Dans la tradition chrétienne le jeûne est considéré comme une expérience d’humilité devant le créateur. Il est en premier lieu une expérience intérieure profonde. L’humilité inclut la patience qui inclut le calme qui inclut la cessation de la peur qui permet alors l’ouverture à quelque chose de plus grand que soi.

Quelle que soit notre croyance, le jeûne nous amène à respecter notre nature « naturelle », à nous soumettre aux lois biologiques qui nous dépassent, en ce sens que c’est elles qui nous ont créés et non l’inverse. Première leçon, l’humilité.

La deuxième leçon sera l’apprentissage de la patience. L’organisme travaille à son rythme. Yoshinori Ohsumi a reçu le prix Nobel de médecine en 2016 pour ses travaux sur l’autophagie, processus de dégradation et de recyclage des composants des cellules. Il s’agit d’un mécanisme cellulaire de défense ancestral contre les infections et le manque de nutriments, qui constitue la première menace pour un organisme. Il permet le recyclage de tout ce qui peut l’être pour rester en vie plus longtemps.

Un peu de biochimie

La cellule digère une partie de son contenu, que ce soit du cytoplasme, des protéines ou des organites cellulaires. Les hygiénistes avaient depuis longtemps compris que le jeûne était comparable à une cure de rajeunissement, sans pouvoir en expliquer les causes. Chose faite (ou à peu près car tout n’est pas encore compris dans le processus du jeûne)!
Mais pour que les cellules se sentent en état de stress, faute de nutriments, il va falloir attendre quelques jours. En effet notre organisme est d’une complexité incomparable. Dans un premier temps il va mobiliser les réserves de glucose directement disponible dans le foie et dans les muscles. Ceci permet de débloquer de quoi tourner quelques heures. Puis viendra la néoglucogénèse pour prendre le relai. Certains acides gras et surtout les acides aminés vont être dégradés pour fournir le combustible nécessaire à la survie. Cette deuxième phase va s’étendre de 48 à 72 heures. C’est seulement à ce moment qu’un autre système métabolique se met en place. Le foie va dégrader les graisses, et épargner ainsi les protéines, pour en faire des corps cétoniques qui peuvent être directement utilisés par les muscles, dont le cœur bien sûr et le cerveau, ainsi que par presque tous les autres organes. Cette phase peut durer plusieurs semaines. Ces différentes étapes répondent à des besoins induits par l’évolution. Le glucose directement disponible permet, en cas d’attaque du lion affamé, une fuite rapide. La deuxième étape fournit assez d’énergie pour aller chasser ou cueillir les fruits pour la subsistance quotidienne. Quant à la troisième étape elle enclenche les mécanismes de survie pour palier à un hiver rigoureux.

Nous sommes façonnés par l’évolution et notre organisme est resté en gros au paléolithique. Quelques milliers d’années ne sont pas suffisants pour changer notre patrimoine génétique. Il faudra donc laisser quelques jours à notre organisme pour que tous ces processus se mettent en place et que le nettoyage cellulaire puisse commencer. Il faut réapprendre la patience.

Comprendre

La troisième leçon se profilera alors, l’émerveillement. C’est surtout lors d’un premier jeûne que l’on découvre et que l’on s’étonne des facultés de notre corps. Notre organisme est une entité merveilleuse qui va s’adapter sans aucune intervention volontaire de notre part. On assiste à un changement qui nous préserve, qui nous répare, qui nous décrasse, qui nous allège. Sans que l’on ait besoin de faire quelque chose … c’est gratuit, c’est un cadeau, c’est l’émerveillement … On prend conscience de la complexité de son organisme, de sa beauté, de sa qualité, mais aussi de sa fragilité. Pour certains les années de vie à contre-courant des besoins fondamentaux vont peut-être se faire sentir, mal de tête, mal au ventre, faiblesse … Et là aussi, car on ne prend aucun médicament pendant le jeûne (sauf si l’on est sous traitement médical et dans ce cas il faut se renseigner car tout le monde ne peut pas jeûner), la ténacité, l’humilité vont être requises.

Etonnamment, l’évolution nous apporte un soutien inattendu. Le régime cétogène induit à partir du glutamate la production de l’acide gamma-amino-butyrique (GABA) qui est notre sédatif naturel, il nous apaise, nous calme, au détriment de l’aspartate qui est un excitateur mais surtout un neurotoxique s’il est en excès.

C’est alors que vient l’ouverture, c’est-à-dire la compréhension. Le jeûne nous transpose dans un autre monde où les rythmes sont différents, où les habitudes sont bousculées, où le virtuel s’estompe par rapport au réel. Un monde de plus grande liberté, car la liberté c’est la compréhension de nos conditionnements.

Une addiction largement répandue

Hors il est une addiction à laquelle personne n’échappe, celle de la nourriture ! Depuis notre plus jeune âge on est conditionné par la nourriture. Quand un ami arrive en visite notre première proposition n’est-elle pas de lui demander s’il a mangé, s’il a soif ? Un repas pris en commun est quelque chose de très convivial. Pour conclure un marché quoi de mieux qu’un repas d’affaires ? Et plus près de nous, nos petites habitudes du matin, du soir … un thé ? un café ? un morceau de chocolat ? La nourriture est une récompense que l’on s’octroie facilement. Manger est un plaisir et dans notre société de stress parfois la seule consolation ou le seul dérivatif.

Arrêter de manger laisse un grand vide, il faut réinventer des rituels de convivialité. Il faut aussi employer notre temps différemment, plus de courses à faire, plus de cuisine à faire, plus de temps à manger, plus de vaisselle … que de temps libre ! Qu’en faire ? Il y a là matière à introspection.

Puis il faut arrêter de vouloir et laisser le corps faire son travail à son rythme. Pendant un jeûne on perd les commandes, les rythmes naturels vont doucement reprendre leur place, l’égo se fait modeste. On redevient un organisme vivant c’est-à-dire soumis à l’entropie universelle, c’est-à-dire une chose mortelle. Vivre en bonne santé n’est pas un gage de vie éternelle, mais de vie pleine. Car être en forme n’est pas un but en soi. Les religions l’ont bien compris, la bonne santé n’a jamais été le motif des jeûnes quelles que soient les traditions. Le jeûne est toujours présenté comme une méthode, une aide, un processus pour atteindre quelque chose d’autre. Dans sa version athée, le jeûne hygiéniste n’est pas différent, être en bonne santé c’est la condition nécessaire pour vivre toutes ses possibilités.

Jean-Pierre Jamet