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Pleine Conscience et Psychothérapie :
points communs, différences et contributions mutuelles
par Marc Scialom
1- La Psychothérapie et le processus d’individuation une des caractéristiques de l’Occident
2- Mindfulness ou Pleine Conscience la démarche méditative en Orient
3- Contribution de la Pleine Conscience à la Psychothérapie
4- Contribution du Processus d’Individuation à la Pratique de la Pleine Conscience
Points communs : la psychothérapie et la pleine conscience reconnaissent les épreuves et les souffrances physiques et psychiques inhérentes à la condition humaine, le besoin d’évoluer, la remise en question de notre relation à nous-mêmes, aux autres, au monde.
DIFFÉRENCES:
La Psychothérapie et le processus d’individuation caractéristique de l’Occident :
Le processus de l’individuation commence lorsque nous tirons grâce au discernement, des leçons de nos expériences de vie.
Celui-ci nous permet de ne pas répéter les mêmes erreurs et d’évoluer.
En effet, tout ce qui n’est pas vécu en conscience, va devoir être éprouvé par l’expérience.
L’individuation nous permet de nous différencier des matrices qui ont un pouvoir conditionnant sur nous.
Celles-ci proviennent, d’une part de ce que nous avons conclu pendant ou à la suite de nos expériences de vie (croyances) et d’autre part, de notre identification aux systèmes auxquels nous appartenons (famille, profession, nation, civilisation…) qui eux aussi ont leurs parti-pris sur la réalité.
Ces croyances collectives ont un champ de cohérence puissant et sous-jacent. Celui-ci cherche à se maintenir dans une logique de survie.
Lorsque le processus d’individuation n’a pas commencé, l’homme, le plus souvent, ne pense pas par lui-même mais « est pensé » par la logique de ces systèmes.
Des recherches en ornithologie ont mis en évidence que plus le merle va loin du nid, plus il devient virtuose, plus il reste proche proche de sa famille, plus son chant reste commun.
Accueillir le processus d’individuation, c’est accueillir la force et l’engagement dans le mouvement de la vie. Cette énergie va actualiser notre devenir.
"Jusqu'à ce qu'un être se soit engagé, il y a de l'hésitation, la possibilité de se retirer, toujours de l'inefficacité concernant tous les actes de création et d'initiation.
Il y a une vérité élémentaire dont l'ignorance tue les idées innombrables et les plans splendides:
Au moment où un être s'engage définitivement, la Providence bouge aussi.
Toutes sortes de choses arrivent pour aider qui, autrement, jamais ne se seraient produites.
Tout un courant d'événements issu de cette décision s'élève en sa faveur sous la forme d'incidents fortuits, de rencontres, d'assistance suprasensible qu'aucun homme n'aurait pu rêver sur sa route.
Quoique vous puissiez faire ou rêver, commencez-le.
L'audace contient du génie, de la puissance, de la magie. Commencez-le maintenant."
Goethe
La démarche en psychothérapie ou en philosophie, nous permet de nous affranchir de ces matrices psychiques conditionnantes et de vivre une deuxième naissance.
En naissant à nous-mêmes, nous ne rejetons pas les systèmes auquel nous appartenons mais pouvons participer à l’évolution de ceux-ci.
L’ombre du processus d’individuation est l’individualisme.
Certaines démarches en psychothérapie ou en psychanalyse participent à donner une réalité aux conditionnements, au moi.
Travailler sur le moi peut se révéler sans fin.
Une approche de la psychothérapie basée sur la méditation pointe vers une liberté par rapport à nous-mêmes, un être-au-monde sans cesse renouvelé.
Mindfulness, la démarche méditative en Orient :
En Orient, la Conscience est sans histoire, la conscience est intime mais non personnelle et ultimement non réflexive, sans objet.
Le moi est vu comme n’ayant pas de réalité en lui-même.
Il est le résultat de « vrittis », formations mentales qui apparaissent et disparaissent.
Lorsque le discernement n’est pas développé, l’homme donne l’illusion d’une permanence au moi. Comme l’oeil donne l’illusion de la continuité à un film qui se déroule à 24 images par seconde.
L’approfondissement de la pratique méditative qui consiste à à porter son attention au moment présent va mettre en lumière l’illusion de la continuité du film et révéler l’insubstantialité du moi.
La pratique de Samata consiste à placer l'esprit dans un état de vigilance, sans distraction, ouvert à lui-même tel qu'il se présente, sans tension.
Un des moyens habiles consiste à suspendre les trains de pensée et à focaliser l’attention sur les sensations qui accompagnent le souffle.
On se méprend souvent à associer uniquement Samata à de la concentration.
Bien que il soit important de poser l’attention, son aspect essentiel réside dans la suspension des jugements et des trains de pensée.
Cette suspension des trains de pensées va permettre au pratiquant de se familiariser avec « la conscience qui contient ».
En alchimie, celle-ci est l’athanor, le fourneau alchimique.
Après la suspension des trains de pensées organisés, construits, cohérents, la pratique de Samata va permettre au pratiquant de faire face aux formations mentales à l’état naissant ou formations prémentales, fluides, évanescentes, incohérentes.
C’est là qui réside l’oeuvre au noir, la transmutation de l’inconscient par un processus de décompactage des fixations, des identifications.
Ces fixations ou identifications sont liées à l’histoire du moi (mémoires, rôles, réussites, traumas…) se superposent à la conscience pure, sans objet et donne l’illusion de l’existence au moi.
L’œuvre au noir va mettre en évidence l’insubstantialité du moi dans les dimensions mentale, émotionnelle et même physique.
La stabilité de la conscience accueillante et centrée dans le moment présent va mettre en évidence le caractère impermanent de tout ce qui se manifeste.
Les ombres souvent rencontrées dans une démarche spirituelle orientale est le « raccourci » de l’insubstantialité du moi qui consiste à être dans le déni du moi, le mépris des émotions et de la dimension humaine.
Ce déni s’accompagne dans la psyché de l’émergence d’un sur-moi spirituel (la posture de celui connaît bien un enseignement spirituel, qui a toutes les réponses aux questions de la vie, de la pratique méditative).
Une démarche spirituelle qui se fonde sur le sur-moi spirituel, a pour conséquence, une uniformité de l’enseignement surtout que la personne n’est pas prise en compte dans l’unicité de sa démarche spirituelle.
Contribution de la Pleine Conscience à la Psychothérapie
La pleine conscience permet une conscience claire des sensations, des perceptions externes, des émotions et des pensées, en suspendant les jugements à leur égard.
Les ruminations du passé déclenchent ou nourrissent la pression.
Les préoccupations excessives du futur sont sources d’agitation mentale et d’anxiété.
La pratique de la pleine conscience se distingue des approches en psychothérapie en ceci : nous suspendons toute intentionalité de changer le contenu de l’expérience. Un simple retour à l’expérience présente permet de désactiver la force des penchants à la rumination de nos expériences passées et aux préoccupations excessives concernant le futur. (Michel Bitbol)
En d’autres termes, nos blessures, nos espérances nos pensées anxieuses n’ont pas besoin d’être réparées, elles ont juste besoin d’être contenues.
Le retour à la simplicité du moment présent est vraiment une ressource, un apaisement. Ici, maintenant telles qu’elles sont dans la conscience aimante, lucide du moment présent avec humanité, humilité.
Le pratiquant voit ses pensées comme de simples pensées transitoires.
Voici deux retours de personnes ayant traversé des périodes de dépression et ayant pratiqué la mindfulness :
« je ne suis pas dépressif. Il m’arrive d’avoir des pensées dépressives et je peux les suspendre ou les poursuivre. Même pour quelques secondes en revenant au souffle, je peux les suspendre. »
« Je suis curieux de la nature des pensées liées à la dépression, de la manière dont elles évoluent dans ma présence accueillante et vaste ou de la manière dont elles semblent persister… de la manière dont elles peuvent s’évanouir ou bien réapparaitre.
Dans pratique de la psychothérapie basée sur la mindfulness, se simplifie. Elle est le partage d’une intensité de présence.
Elle permet la mise au jour du nœud. Le psychothérapeute valide le vécu tel qu’il se présente dans le moment et en même temps il ne donne à ce nœud que la réalité que la personne veut bien y donner. Il n’y croit pas trop, ne nourrit pas la réalité de ce nœud.
Se tenir au cœur de ce paradoxe (pleine présence à la personne et sa souffrance en même temps sans trop y croire) facilite, le changement, l’ouverture à tous les possibles. Le mouvement de la vie reprend son cours.
Dans une pratique de la psychothérapie basées sur la bienveillance, comment est vécu l’empathie ?
Celle-ci est vécue comme un processus. Rien n’est acquis une fois pour toutes.
Au cours d’une séance voici les questions que je me pose souvent :
« Comment vais-je établir d’abord, et renouveler avec cette personne une relation singulière basée sur la bienveillance ? »
« Sur quoi puis-je prendre appui en moi et dans la relation à l’autre, ici et maintenant ? »
La mindfulness met en évidence comment le principe d’interdépendance est à l’œuvre dans la relation thérapeutique, une forme de non-séparation, une communauté de conscience.
Contribution du Processus d’Individuation à la Pratique de la Pleine Conscience
Quel est l’apport de la psychothérapie ou plus exactement du processus d’individuation à la pratique de la méditation ?
Lorsque je lis ou que j’entends un enseignement, est-ce vrai ? Est-ce toujours vrai ? Accueillir sans discernement les paroles ou les écrits d’un enseignant peut se révéler avoir des conséquences dommageables, conduire à des enfermements redoutables, à des cycles de souffrance de manière individuelle et collective
Exemple : Je cite la parole d’un enseignant que je ne nommerai pas « Lorsque vous aimez une personne, vous croyez que vous aimez la personne, en vérité, vous aimez l’amour ».
Est-ce vrai, est-ce toujours vrai ? Si je crois cela, quelles vont être les conséquences dans ma manière d’aimer et dans ma vie relationnelle ?
Si cette parole pointe vers la dimension universelle de l’amour (part de vérité dans cette allégation), accueillir cette parole sans discernement peut avoir comme conséquence, le déni de la singularité de la personne aimée, le déni de l’unicité de la relation.
Etre amoureux de l’amour, et accessoirement d’une personne peut être l’expression d’une forme de narcissisme où le sens de l’autre fait cruellement défaut : ce qui compte plus est l’état que je vis que la relation à l’autre.
Sous prétexte d’aimer l’amour, nous pouvons manifester des attitudes de zapping relationnel, de désinvolture où la personne aimée ou soi-disant aimée est remplaçable.
En voulant mettre l’accent exclusivement sur la dimension universelle de l’amour, cette allégation nie la dimension singulière.
En synthèse, l’amour éprouvé de manière singulière, unique et ouvre à l’amour du monde, des autres.
Cet enseignement est-il vrai, est-il toujours vrai ?
Chaque affirmation a son point aveugle, son parti-pris sur la réalité.
Le processus d’individuation présent dans la psychothérapie, le travail intérieur ou philosophique développe le discernement.
C’est une des contributions de l’Occident à la quête spirituelle.
Nous avons encore à cheminer pour réaliser une synthèse entre l’Orient et l’Occident et favoriser l’émergence d’une nouvelle approche de la spiritualité.
Les principes demeurent, l’expression se renouvèle.
La dimension du groupe, prendra certainement dans les années à venir une place importante, une place où la sagesse réside dans le cœur de tout être, de l’être-ensemble.