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DANSEZ ! Le corps, livre de connaissance
Par POUMI LESCAUT
Préface de Patrice van Eersel
aux Editions Accarias l'Originel
Le corps est un univers à rencontrer d’urgence. « Dansez ! » s’adresse aux danseurs et à tous ceux pour qui le corps est le point de départ de la connaissance.
La danse y est vécue comme outil de transformation en englobant l’être entier, physique, subtil, vers l’expérience de l’unité.
Préface
Vous êtes-vous déjà demandé à quoi ressemblerait une humanité enfin accomplie, éveillée, aboutie ? Certains objecteront que c’est un objectif impossible, voire dangereux, vu que le propre de l’humain est d’être en quête permanente de dépassement, dans un inaccomplissement perpétuel et vertigineux... S’il vous est néanmoins déjà arrivé d’inviter des amis à visualiser cette utopie et à tenter de répondre à la devinette : « à quoi ressemblerait l’accomplissement humain ? », vous aurez constaté que les réponses sont surprenantes. Grands et petits, gens simples ou savants, artistes ou pas, chacun a sa vision. Des plus matérielles aux plus spirituelles, des plus drôles aux plus sensuelles. Pour ma part, la réponse n’a pas varié depuis bien des années, s’imposant à moi avec une clarté jubilatoire : j’ignore ce que sera l’accomplissement humain, mais je suis certain qu’il ressemblera à une danse.
Et pour imaginer ce que pourrait être cette chorégraphie collective, le livre de Poumi Lescaut m’a ouvert des portes passionnantes.
Ce livre est un puzzle merveilleux. Une combinaison inclassable. On y trouve des cosmogonies, des envolées esthétiques et des considérations scientifiques, des témoignages spirituels et beaucoup de souvenirs extraordinaires, notamment rapportés d’Inde – comme l’incroyable premier voyage de Poumi à Udaïpur, où la foule l’a littéralement poussée à danser pour Khrishna – plusieurs jours de suite ! – dans une ferveur que l’on pourrait situer « au-delà de la transe ».
Dans ce livre, on trouve aussi de très intéressantes considérations sur le mouvement, sur le corps, le rythme, la respiration, l’énergie, l’espace-temps, le vide… Et même quand elles tendent vers la théorie, ces considérations sont toujours enracinées dans une pratique que l’on sent ancienne, profonde, rendue « aussi transparente qu’un coquillage usé par la mer », comme aurait dit l’écrivaine Christiane Singer.
Mieux qu’un savoir, c’est une connaissance, qui nous touche en profondeur. Au fil des pages, vous tombez parfois sur des exercices pratiques issus d’ateliers d’art-thérapie longuement éprouvés et mettant en jeu les muscles, l’imagination, le souffle, l’effort et le lâcher-prise, toujours en relation amoureuse avec les autres, l’univers et les éléments. Car Poumi Lescaut, qu’elle nous parle de danse, de yoga, de peinture, d’écriture ou de tout autre forme d’expression créatrice, est toujours à la fois celle qui danse et celle qui enseigne la danse aux autres. Poumi est une artiste et une transmettrice, si ce mot nous est permis. Une grande mystique aussi… mais dont les pieds sont solidement posés sur la terre qu’elle foule comme une danseuse sacrée, même quand sa tête est aspirée par le ciel. Quelle formidable expérience que la sienne ! Elle a pratiqué toutes les formes de danse, dans des théâtres modernes et dans des temples anciens, sur des planches ou dans la rue, et sur tous les continents. De la chorégraphie classique européenne à la danse chamanique qui vous met en lien avec vos ancêtres, elle nous rappelle le gigantesque éventail de possibilités qui s’offre à l’humanité en quête de plaisir et de joie. En quête de l’inatteignable. En quête d’elle-même.
Patrice van Eersel
Introduction à la pédagogie
« L’essence du tout est dans le rien. » Ohad Naharin
La danse est une ascèse. La danse est un outil d’éveil. Et même si vous ne souhaitez pas être danseur, c’est un outil efficace pour devenir plus présent. Le corps est un univers à rencontrer d’urgence qui va vous nourrir dans le cas de la pratique d’un autre art, y compris celui de soigner ou d’enseigner quoi que ce soit. Cette approche pédagogique servira, je l’espère, les uns et les autres se reconnaissant dans cette sensibilité. Il y a beaucoup de choses qui ne se voient pas, en soi comme dans le monde et qui pourtant existent ; si l’on peut s’ouvrir à une écoute plus fine, ces choses vont nous donner des informations propres à ouvrir notre champ de conscience et à développer notre intuition. La danse – vue sous un certain angle – est un outil qui peut justement développer cette écoute. Elle est une mise en marche des potentialités de l’être, ce qui est également le sens du yoga et de toute pratique spirituelle sincère et enthousiaste.
Je propose de considérer trois intelligences dans l’être : celle de la tête ; celle du cœur ; celle du ventre. Et de les appréhender ensemble, car si elles fonctionnent séparément on ne sera pas complet : dangereux si ce n’est que la tête ; trop émotionnel si seul le cœur est en marche ; violent et passionnel si seul le ventre parle. L’un va tempérer l’autre, et faire de la sagesse leur écrin global, et la danse peut contribuer à cette union des trois intelligences en une.
La danse guérit
C’est ce que disent souvent les danseurs. Oui, la danse guérit, elle fait circuler la vie, elle est un parfum de non-mort, ou si vous voulez, un passeport pour l’immortalité.
Elle est folie contrôlée, provoque l’addiction aux endorphines qu’elle produit…
Celle que je privilégie est celle qui ouvre le ciel, dans laquelle le JE s’oublie…
Celle qui m’enveloppe d’une Présence multiple alors que je suis seule.
Celle qui m’emporte dans un autre monde. Celle qui me brasse, m’embrasse et m’embrase.
Celle qui m’arrache à l’Absence et me donne vie non terrestre.
Les formes de danse purement physique ne m’intéressent pas.
C’est comme si on chantait pour un sourd.
La vie elle-même est une chorégraphie, regardez les lignes se croiser et se décroiser pour se rassembler plus loin, là où rien n’est déjà plus comme avant.
On est arrivé trop tôt ou trop tard ou juste comme il faut, en accord avec la musique du monde, les klaxons autant que le bruissement du vent dans les reflets de la pleine lune… avec l’éclairage nocturne sur les feuilles prêtes à tomber de l’arbre, comme si cette anti-lumière accélérait leur chute…
Et mon partenaire invisible me pousse et me soulève, me fait chuter en vrille pour me recueillir plus loin comme un trapéziste dans le vide récupéré par le filet.
Le corps physique est le lieu par lequel se manifeste l'invisible.
Une invitation à explorer notre corps sous toutes ses coutures pour le plier à la discipline - sans laquelle pas de liberté - l'harmoniser, en faire un instrument qui accepte sans rechigner de se plier au plus fou des langages. Car avec la danse, c'est tout l'être, corps et âme qui se donne pour accoucher de son propre mystère... Il est le lieu de tous les combats et bien entendu pas que pour les danseurs, les acteurs, les sportifs... Ceux qui souffrent dans leur corps – tant physiquement que psychologiquement – en mènent un autre qui n'est pas ici notre sujet et mérite un autre ouvrage.
La psyché est lisible dans le corps, c'est une bibliothèque des mémoires de l'être, même les plus lointaines. Il faudra bien explorer (aussi) la part d'ombre liée au mystère de la vie et de la mort. Le corps est lieu d'apprentissage, d'auto-initiation, de tracé d'architecture et de points d'acupuncture, c'est une sorte de géographie physique et subtile que l'on explore. Pour le danseur, il va traduire son univers poétique, dire ses rythmes et ses sons intérieurs, dire avec le corps ce qui n'a pas de mots, le mystère de l'existence humaine. Dire l'espace intérieur uni à l'espace. Réfléchissons sur la façon d'habiter ce corps, de le mettre en mouvement, d'en écouter les messages, et par là de retrouver le chemin de l'intuition qui précède la connaissance.