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L’Enthousiasme Rituel 

par Corinne Tranchida

Corinne Tranchida

Depuis de nombreuses années maintenant, je remarque que les personnes qui viennent consulter se sentent souvent déliées, déliées avec le monde, déliées avec autrui, déliées avec elles-mêmes. Immensément libres et déliées. A la clé de cette liberté, une perte de repères, une nostalgie, une peine, un ennui, un malaise, un désenchantement qui ne laisse plus la place à un enthousiasme unifiant ou reliant.

Dennis Jeffrey dans « Eloge des rituels » dit ceci : « les rites et les rituels sont là pour nous rappeler que la vie ne se possède pas entièrement et que toujours quelque chose nous échappe. Il y a dans la vie de l’inexpliqué que le rite matérialise et symbolise. » Il y a là le besoin transcendant de réenchanter sa vie et de se connecter à plus grand que soi.

Qu’est-ce qu’un rituel ?

Si les rythmes nous structurent biologiquement, les rites nous organisent psychiquement. Et en effet, les rituels, intimes ou collectifs, sont essentiels dans les moments clés de nos existences et face aux aléas de la vie que nous traversons.

La plupart du temps, il y a dans la structure d’un rituel une intention exprimée dans laquelle le ou les participants au rituel peuvent se reconnaître, il y a une cérémonie, des aides, une temporalité singulière à part et organisé, un lieu à part bien souvent avec un décor, des actes et des gestes symboliques, des objets, une parole qui déploie le sens du rituel (une intention) et donc un maître de cérémonie. Cette forme créée ouvre l’espace d’une expérience porté par le charme du secret, du sacré, du mystère, par la lucidité de l’ivresse du sens, par le dépassement de soi- même, Il pourra être tour à tour ouverture vers ses profondeurs, ravissement, transgression, réjouissance communautaire selon l’intention...

Leurs formes thérapeutiques sont souvent collectives. Parmi les plus courantes, nous trouvons celles-ci.
Le rituel de cohésion consiste à favoriser les entrées et les sorties, à redéfinir le sens des relations, à délimiter les frontières à l’intérieur d’un ensemble.
Le rituel de deuil consiste à traiter l’absence, le perte d’un être cher.
Le rituel de construction d’identité consiste à redéfinir l’identité d’un de ses membres qui est enfermé dans un rôle rigide ou stigmatisé par une étiquette.
Le rituel d’expression et de négociation des croyances consiste à exprimer des croyances qui ne peuvent pas trouver accord entre les parties.
Le rituel de célébration consiste à commémorer et démarquer les temps spéciaux des temps réguliers, ainsi qu’à marquer le changement de la personne et de la communauté.
Le rituel de cadeau et de don.
Les rituels de prière ou de méditation.
Le rite d’union célèbre l’aspect solidaire, communautaire.
Le rituel de distanciation concernera les cérémonies de batailles ritualisés ou cérémonies utilisant des bâtons et des luttes symboliques.

Quelle est sa fonction dans l’espace de la thérapie initiatique et transpersonnelle ?

Le rituel permet de socialiser un vécu émotionnel dense et qui nous touche de manière intime. Le chagrin d’une personne, par exemple, n’est plus son seul fait, il est su et porté par l’ensemble d’une communauté. Il permet une socialisation qui permet à la compassion de s’exprimer.

Le rituel permet de faire mémoire. La remémoration d’évènements traumatisants est à l’opposé du refoulement. En même temps, ce temps de mémoire est clôturé par le rituel lui-même. On ne risque pas de s’y abîmer.

Le rituel permet de marquer des étapes comme dans les rites de passage. Dire adieu en est une. Cette étape étant marquée, on peut la franchir, il y a un avant et un après. Elle pose une borne salutaire dans le temps. Le rituel permet de symboliser cette étape par des gestes, des objets ou un acte précis, qui la signifient et en symbolisent le franchissement dans la mémoire, y compris dans l’inconscient.

Le rituel permet aussi de faire corps autour d’une personne, pour la renforcer dans ses sentiments
d’appartenance et d’identité affaiblis ou mis en danger. Cela peut se faire très physiquement, par le contact corporel.

Enfin, le rituel permet une parole qui donne sens. Le sens peut être dit soit individuellement par une personne, soit par le groupe.

Rituel & Initiation

En psychothérapie classique, nous parlons de valeurs, d’éthique, d’aspects émotionnels et relationnels etc... mais finalement, tout revient souvent à se libérer d’un état de conscience emprisonné dans le banal de nos vies pour toucher la lumière et le mystère d’une nouvelle vision du monde. Ici, ce n’est pas la démarche analytique qui nous aidera, à grands déploiements de théories et de conseils, à accéder à des états de conscience libres.

La psychothérapie initiatique, quant à elle, aura à cœur de plonger la personne dans une situation où elle va justement vivre un nouvel état de conscience. Une situation favorable pour qu’elle puisse toucher cette lumière et ce mystère. C'est cela l'initiation : pénétrer l’in-visible, l’in-connu, le Soi, par l’effervescence, l’extase, l’ivresse du rituel. Une ivresse des Sens et du Sens....qui relie au Soi, voire au plus grand que le Soi, le Soi, pulsion fondamentale du Vivant pour CG Jung (1).
L’initiation est un rite de passage, (du latin rites, principe organisateur), une épreuve codifiée qui va permettre d’accéder à un nouveau statut reconnu par la société. Mais le rite a aussi pour fonction d’établir un pont entre le visible et l’invisible en passant par des seuils de transformation. Dans un certain sens, nous sommes tous des gens du seuil en quête de notre être intérieur et mystérieux.

A chaque passage, il faudra traverser le danger de nos plus grandes peurs, de nos ténèbres tout en accueillant la puissance nécessaire pour opérer le passage.

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(Crédit Photo Chinh Le Duc).

L’autre en Soi : L’enthousiasme

Etymologiquement, le mot enthousiasme vient de ‘en-theos’ qui veut dire avoir dieu en soi. Mais, dans une société laïque et normée, voire schizoïde, quel dieu peut se manifester au sein d’un collectif qui a perdu son dieu, ses dieux et divinités ? Nos dieux et déesses se sont absentés et nos tentatives d’enthousiasme tombent souvent à plat.

L’enthousiasme évoque un état autre qui nous rend profondément joyeux. « En- Theos» signifie qu’il y a de l’Autre en soi. Cet ‘autre’ nous sort de notre environnement trop connu, voire de notre fermeture, et ‘infuse le quotidien de la joie soyeuse du Ciel’.

Dans nos cités, dans nos esprits, où sont donc Aphrodite et son ivresse amoureuse, Arès et son enthousiasme héroïque, Ulysse et son retour sans cesse ajourné, Narcisse et sa fleur d’âme, Dionysos et ses folies orgiaques, Eros et ses mille désirs, etc... Il n’y a plus aujourd’hui de possibilités d’ivresse, ni d’enthousiasme.

C’est par exemple et entre autres pratiques par l’art rituel, celle qui fait la part belle aux archétypes et aux mythes comme forces de guérison, que la personne va convoquer l’artiste en lui, créant des formes rituelles, se donnant à lui-même une forme ou révélant sa forme intérieure. Ici, le processus de création du rituel ou de la forme rituelle, seul ou en groupe, soutient l’avènement du plus grand que soi dans une « commune présence » (René Char, 1998), habitée de l’âme humaine et du sacré.

L’art vivant est aussi ancien que la vie communautaire elle-même, lors des danses de pluie ou des veillées autour du feu, probablement présents du temps des premiers hommes.

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(Crédit Photo Manyu Varma)

Musique et danse sont sans aucun doute les deux seuls arts qui réussissent à atteindre les foules et le renouveau des danses participatives signe le besoin de lien social, de fête, de désir de la société de se guérir et de trouver un sens. Ces retrouvailles génèrent une excitation, une jubilation, une effervescence. Ici, L’enthousiasme est une mise en transe qui relève de la religiosité et fait reliance. C’est un tumulte réglé, une déstructuration structurée, un désordre ordonné.

Méditations, prières, cercles de femmes, d’hommes, tentes rouges, blanches, danses rituelles, groupe de paroles et de thérapie ou développement personnel, expressions dansées et mouvementées modernes (technoparade, carnaval, gaypride) autant d’expressions de ce besoin d’affirmer son appartenance à une « communitas » qui se distingue d’une vie sociale normée ainsi que l’urgent besoin de sacré, de mystère. Communauté, communion et transcendanse sont ici convoquées.

Ainsi, le rituel est une articulation entre le corps et l’être, le sacré et le profane, le visible et l’invisible. C’est un espace liminal, marginal habité par des individus-limites, gens du seuil. Le renouveau du phénomène rituel, délaissé par une société désenchanté mais vieux comme le monde opère comme une médecine qui canalise le trauma, l’usure, la violence propre à l’individu et à la vie vers une harmonisation en autorisant une expression de ces états.

Corinne TRANCHIDA

(1) Le Soi nous transforme grâce à la signification initiatique des symboles. C’est un archétype de la totalité que certains appellent l’inconnu, l’inconnaissable, le vivant, le présent, l’invisible.