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Le chant spontané, un chemin vers Soi
par Sophie Dubois
Vous souvenez vous de cette chanson de Michel Fugain, « Chante la vie chante, comme si tu n’avais plus peur de rien, comme si plus rien n’avait plus d’importance, chante, oui chante». Enfant j’aimais la sensation qui émanait de cette chanson, je crois que j’y contactais la joie de vivre, profonde, qui émerge d’elle-même et non conditionnée par les évènements extérieurs de la vie. De nombreuses traditions spirituelles nous aident à retrouver cette joie d’être dans l’expérience de l’ici et maintenant et de la pleine conscience, tout comme peut le faire le chant spontané.
Quelques années plus tard, j’entame mes études de hautbois et de chef de choeur en fac de musicologie et au conservatoire de Lyon. Après quelques années en tant que professeur de musique et hautboïste, je souhaite réunir mes deux passions : la dimension artistique, créative de la musique et du chant et la dimension psychologique de l’être humain, avec toutes les questions existentielles, éthiques et philosophiques que cela suppose. J’entreprends donc des études de musicothérapie puis de psychothérapie transpersonnelle. Lors d’un module de formation nous sommes amenés à vivre ce que je donne à expérimenter à mes propres stagiaires dans les stages que j’anime, depuis plusieurs années déjà.
La proposition consiste à chanter sans s’interrompre pendant 2 heures, je dois reconnaitre ma facilité à entrer dans l’expérience. Cela commence par des râles, des cris, des plaintes qui sortent de je ne sais où, je suis déconnectée de mon MOI, du JE, de l’ego, désidentifiée de la Sophie sociale. Je m’en remets au chant, oui c’est cela ! Je suis rendue au chant spontané. Total abandon et don de soi et à ce qui doit chanter au travers de moi – ça chante en moi ! Ces sons s’associent à des images de différentes scènes, biographiques ou issues de l’inconscient collectif. Je chante, je hurle, j’expie ces souffrances du passé. Cela dure peut-être 30, 50 minutes? Plus ? La notion de temporalité habituelle est modifiée. Je suis en état de conscience élargie. Je continue sans interruption, c’est la consigne. Lorsque rien ne vient je fais des sons, puis ça repars. Je me retrouve alors prise par une sensation énergétique très puissante, un besoin de sortir de ma gorge des sons très aigus, nouveaux. Ma langue semble se transformer et devenir langue de serpent, je suis serpent, je jette mon venin. Je crache mon chant, ma libido, mon énergie de vie et c’est terriblement jouissif. Je ressens une forte chaleur tout le long de ma colonne vertébrale.
Je continue à laisser les sons sortir simplement en laissant venir l’inspiration du moment, soudain je me retrouve dans une plaine de Mongolie, les montagnes tout autour. Je suis debout, fille de la terre, je me sens moi mais d’une façon très particulière d’être « Moi » et difficilement descriptible ici. J’ai l’impression de contacter ma véritable essence. Comme si la Sophie que je suis n’était qu’une forme et ne rendait pas compte de la totalité et de la véritable réalité de mon être. Et je chante une sorte d’ode à la terre très mélodieuse avec un timbre de voix absolument différent, très nasillard comme les voix mongoles. Mon chant emplit cette plaine et je sens le vent et l’altitude sur ma peau, le froid des neiges lointaines. Soudain, se révèle la présence de ma grand-mère paternelle à droite et maternelle à gauche, derrière moi. Elles sont là, bienveillantes, comme en soutien. Je sais qu’elles sont mes grands-mères biologiques mais apparait alors devant moi, comme l’image holographique venue du ciel, de « ma vraie grand-mère », mongole ou tibétaine, habillée traditionnellement, au visage fripé de bonté et de sagesse. C’est une vieille femme chamane qui guérit avec ses chants et nous nous reconnaissons mutuellement. L’émotion est à son comble, moment sacré, je suis emplie d’une tendresse, d’une sagesse et d’un amour total, très doux. Cela me touche au plus profond de mes cellules, de mon cœur, de mon âme… Les rires et les larmes inondent mon visage et je ressors de l’expérience profondément chamboulée, dans une immense gratitude. Quelque chose de fondamental s’est passé et je sens intuitivement qu’il y a juste à goûter cette expérience fondatrice. Il me faudra quelques années encore de formation pour proposer aujourd’hui une approche originale du chant spontané. C’est aussi l’intention de cet article, vous donner quelques pistes, car s’il y a un seul et unique message à retenir : vous pouvez vous aussi entrer dans l’en-chant-ement !
Le chant spontané : l’art de défaire
En fait, vous savez chanter! A la naissance le bébé babille et soliloque naturellement et aime ça. Alors, laissez faire. Votre corps sait chanter. Il s’agit de retrouver nos instincts, notre capacité naturelle et innée du chant. Le travail consistera ensuite plus à défaire qu’à faire. Défaire les préjugés, les croyances, les peurs, les jugements, les « je ne sais pas chanter », les « je chante faux », toutes ces petites phrases du saboteur en nous. Ainsi que nos fonctionnements de protection : les défenses et les résistances acquises tout au long de nos conditionnements sociaux et familiaux qui nous limitent. Ne vous en inquiétez pas, accueillez, observez-les et amenez-les à votre conscience. Nombreuses de mes séances d’accompagnement consisteront à défaire de mauvaises habitudes, des émotions refoulées ou contenues, des tensions, des contractions corporelles, des postures du corps inadéquates et acquises au fil du temps et ce, pour retrouver la détente et le chemin naturel, facile et spontané du corps qui sait chanter.
Le chant spontané nous relie au corps et au souffle
De nombreuses personnes qui pensent avoir des soucis ou problèmes vocaux ont en fait un blocage au niveau de leur respiration, un diaphragme crispé ou une respiration abdominale entravée. Or la respiration est essentielle dans le lien entre corps, âme et esprit, car de profonds changements de conscience peuvent être induits par la respiration. Le chant spontané nous relie ainsi à la conscience du souffle et nous permet si besoin d’ouvrir notre capacité respiratoire, de dénouer des blocages émotionnels qui y étaient logés. En ce sens c’est un chemin de libération et de transformation puissant. Dans toutes les traditions nous retrouvons cette connaissance de l’importance du souffle : Le Prana des Hindous ne désignait pas seulement l’air et la respiration physique mais aussi l’essence sacrée de la vie. En médecine traditionnelle chinoise, le mot Chi fait référence à l’essence cosmique et à l’énergie vitale, tout autant qu’à l’air que nous respirons. Les Grecs faisaient également le lien entre souffle et psyché. Le mot Phren désignait à la fois, le diaphragme (le muscle essentiel de la respiration) et l’esprit.
Le chant spontané est simplicité
Ce qui est simple est juste et permet d’aller à l’essentiel. Ne rien chercher, surtout ne rien vouloir, aucune intention, aucun objectif, aucune attente de résultat. J’ai hésité même à vous décrire en introduction un exemple de ma propre expérience car je sais que trop souvent, notre mental s’empare de ce qu'il a lu et se compare, et nous amène à vouloir atteindre ou reproduire. Moi-même je dois renoncer à chaque nouvelle tentative, parce que chaque expérience est celle du moment présent et de l’instant. Elle est donc, par définition, unique et non reproductible. Le chant spontané nous invite à la simplicité, au dépouillement, et se révèle dans le non vouloir. Se rendre à la simplicité de ce qui se révèle là dans l’instant. Nous sommes tellement avides, de sensations fortes, de révélations! Que se passerait-il si nous pouvions nous réjouir de ces instants si paisibles où rien d’autre ne se révèle que la simplicité du son? Que se passerait-il si nous pouvions déjà simplement nous réjouir d’être en mesure de chanter? D’oser quelques sons ?
Le chant spontané est abandon
Le chant spontané est une invitation à l’abandon, abandonner le « je », ce « je » suis auquel je reste identifié. Lorsque j’ose m’abandonner, alors les barrières tombent. Cela nécessite du courage et de la détermination, parfois il est nécessaire de persévérer. Pour certaines personnes ce sera plus facile que pour d’autres, et il faudra expérimenter et expérimenter encore. Et pour ce faire, il est absolument nécessaire de se donner un cadre bienveillant et sécure afin de pouvoir entrer dans l’expérience. Abandonnez-vous à votre véritable nature, abandonnez les rôles, la personne sociale, le gentil garçon, ou tout personnage ou masque que vous avez enfilé un jour. Et osez la folie du moment, osez crier, hurler, pourquoi pas…
S’abandonner à ce qui est, peut devenir une expérience unique et magique, vous devenez alors médium, canal d’une énergie vibratoire qui était là tout au fond de vos mystères depuis si longtemps, ne demandant qu’à se révéler et qui peut enfin, s’exprimer à travers vous.
Je suis toujours tellement étonnée du nombre de personnes qui me disent avoir été humiliées, traumatisées dans leur enfance par un adulte ou un professeur de musique qui a posé cette injonction terrible qui sanctionne et ne laisse aucun possible au futur. « Tu chantes faux, ta voix n’est pas belle! » Le chemin pourrait alors être plus long pour ces personnes là, dont l’élan vital a été fauché si tôt! Et pourtant, le chant est toujours là et ne demande qu’à s’offrir si nous lui ouvrons la porte avec foi.
Le chant spontané est amour inconditionnel
L’amour inconditionnel est un grand OUI! Un grand Oui à ce qui est. Oui à ce qui advient, le meilleur comme le pire. Je ne peux savoir d’avance ce qui va en sortir. Il est possible que je sois étonnée, surprise, peut être même émerveillée ou déçue. Il est possible que je m’ennuie, que je me lasse selon les attentes résiduelles que j’avais encore. Il est possible que cela me fasse recontacter des émotions agréables ou terribles, de la joie ou du chagrin, des émotions du passé, des épisodes de mon enfance ou de ma vie que j’avais refoulées pour oublier ou des souvenirs vivaces qui ne demandaient qu’à être vus et reconnus. Mais c’est pour mieux en prendre soin et les dépasser. Alors ces souffrances se libèrent par le chant spontané.
Le chant spontané est un art
Lorsque le chant s’élève, il met en mouvement une capacité nouvelle de contacter de nouvelles informations sur notre biographie, un autre regard sur nous même et sur le monde.
Ainsi, la dimension spirituelle ou thérapeutique du chant spontané réside en ce qu’elle permet de nous découvrir autre et de sortir des croyances et des enfermements sur nous-mêmes. Il réside ainsi en cet art une capacité fabuleuse de re-création de Soi. Il est possible à tout instant d’ouvrir et d’élargir notre vision du passé, de transformer nos croyances, nos valeurs, nos pensées sur soi, sur l’autre et sur la vie. C’est en ce sens tout un art. Cette pratique du chant nous redonne notre entière responsabilité sur nous-même au sens étymologique du terme : être responsable, c’est expérimenter notre capacité de réponse. Et quelle que soit la situation, nous retrouvons alors notre liberté, notre singularité au coeur de la réalité existentielle et pouvons engager un futur différent. Je deviens alors artiste de mon a-venir, artisan de mon propre bonheur…
Sophie Dubois, Aôut 2019
Musicienne et musicothérapeute transpersonnelle