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Mère, L’Enseignement spirituel de la forêt amazonienne
Nouveau livre de Laurent Huguelit chez Mama éditions
À l’occasion de la sortie de son nouveau titre Mère, L’Enseignement spirituel de la forêt amazonienne, la journaliste Audrey Fella s’est entretenue avec l’auteur et praticien chamanique Laurent Huguelit.
Audrey Fella : Lors d’un voyage au Pérou en 2016, où vous avez pratiqué la diète et la médecine traditionnelle amazonienne, vous avez entendu la voix de la forêt - la « mère de toutes les mères ». Qui est-elle exactement ? Que vous a-t-elle demandé ?
Laurent Huguelit : Suite aux attentats parisiens de 2015 qui m’ont beaucoup touché, je suis parti en Amazonie péruvienne avec ma compagne Angéline, pour faire une diète traditionnelle. J’avais besoin de prendre le large. Angéline avait vécu deux ans là-bas dans les années 2000, elle connaissait les principes de la médecine chamanique et s’était liée d’amitié avec des chamanes, dont le peintre Pablo Amaringo, qui est décédé. De mon côté, j’ai toujours été très attiré par la forêt amazonienne. Enfant, je voulais être biologiste et, aujourd’hui, je reste un naturaliste enthousiaste : les espèces végétales et animales me passionnent. Enseignant tous les deux dans le cadre de la FSS (Foundation for Shamanic Studies) de l’anthropologue Michael Harner, depuis plus de dix ans, nous avions également envie de retrouver des chamanes traditionnels dans leur contexte de vie.
Une diète est comme une ascèse, qui inclut des restrictions alimentaires et comportementales – on est face à soi-même dans la nature. Elle est ponctuée de cérémonies menées par les chamanes qui chantent, appellent leurs esprits et font un travail de nettoyage sur les participants. Dès la première cérémonie, qui ouvre la diète, alors que j’étais connecté à mes propres esprits chamaniques, j’ai entendu une voix féminine et vu une présence, qui s’est présentée comme étant l’esprit de la forêt. « Je suis l’esprit de la forêt, je suis la mère de toutes les mères », m’a-t-elle dit. L’expression « la mère de toutes les mères » a de nombreuses significations. D’un point de vue chamanique, le vivant est plein de mères, c’est-à-dire que chaque plante, chaque animal, tout ce qui vit, possède une mère spirituelle, et charnelle également. La forêt est en effet la génitrice du vivant, tout en étant la mère de l’humanité, parce que d’un point de vue phylogénétique, Homo sapiens est un singe tropical né dans la forêt. Ce grand esprit m’a alors demandé d’écrire un livre. À chaque cérémonie, elle me parlait, puis, le lendemain, de retour dans mon hamac, je prenais des notes, je répétais ses phrases dans mon dictaphone. Elle m’enseignait autour de thématiques axées sur sa destruction et sa préservation, rejoignant les problématiques écologiques actuelles.
Quelle est l’intention de ce livre ? À quelle urgence répond-t-il ?
« Mère sera un livre de guérison », m’a sans cesse répété Angéline pendant les trois années qu’il m’a fallu pour l’écrire. Cette phrase pleine de sagesse féminine m’a accompagné à chaque instant. À l’heure actuelle, l’humanité est en train de prendre conscience des dégâts commis sur Terre ces derniers siècles, à travers la disparition des cultures traditionnelles et de la biodiversité, l’érosion des sols, le réchauffement climatique, etc. On le sait mentalement, rationnellement, en tant qu’être humain. Or, dans ce livre, c’est la forêt elle- même qui donne son point de vue : « Vous êtes en train de me tuer, et je suis votre mère. » Nous sommes en train de mettre à mort notre mère. C’est une tragédie ! La forêt amazonienne aimerait que nous comprenions que si nous ne faisons rien rapidement, elle va disparaître. C’est urgent. Car en disparaissant, c’est aussi une partie de l’âme de notre planète qui s’éteint. Or, les êtres humains ont besoin d’elle, ils ont besoin de cette âme, pour vivre en harmonie sur Terre. L’urgence se situe donc sur un plan matériel, tout autant que sur le plan spirituel. Il est temps de nous interroger sur ces problématiques et d’ouvrir notre cœur, car il en va de notre salut, et de celui de la planète. C’est le grand défi des générations actuelles et futures.
Laurent Huguelit
Quelle est, selon vous, la solution à cette « guerre totale », écologique, économique, culturelle et spirituelle ? Qu’est-ce que cette « nouvelle conscience » d’être humain dont vous parlez ?
En tant qu’auteur et praticien chamanique, je n’ai pas la prétention d’avoir de solution toute faite : on ne réglera pas ces problèmes-là en un claquement de doigts. Je suis conscient depuis longtemps des enjeux écologiques qui émergent en ce moment. Au début des années 2000, à l’époque où je travaillais dans les médias, on avait déjà accès à ces informations. J’ai beaucoup lu à l’époque, et tous ceux qui travaillent dans l’écologie le disent : cela fait cinquante ans qu’on connaît le problème. La solution est une reconnexion à ce que la nature a à nous apprendre. Notre société, axée sur ce qui est matériel, a toujours essayé de régler les problèmes avec des idées et des attitudes assez mécaniques finalement : on joue avec des idées, des équations, des principes. Or, quand on commence à travailler avec la nature, les mains dans la terre, on se rend compte que les solutions sont en elle, que la nature est notre enseignante. Elle est comme un livre qui nous apprend. Dans mes stages, je dis souvent que ce qui est difficile pour l’être humain, c’est cette grande solitude à laquelle il se sent condamné : il n’y a pas de manuel pour apprendre à vivre, il doit se débrouiller. Alors qu’en fait, si, il y a un manuel, et même le meilleur de tous : c’est le grand livre du vivant. C’est ce que transmettent les peuples traditionnels. Dès que l’on se connecte aux esprits de la nature, que l’on a une relation respectueuse de collaboration, non dominatrice, avec eux, ils nous apprennent à vivre sur Terre, nous permettent de comprendre quelles sont les règles de conduite qui vont nous aider à nous développer et à devenir une humanité adulte. C’est une perspective totalement différente, où l’humanité redevient humble : elle est un enfant en apprentissage. Et ce n’est pas forcément à nous seuls de résoudre les problèmes : la nature peut nous expliquer comment faire. Mais pour y arriver, il faut être à l’écoute. C’est tout l’enjeu : allons-nous être à l’écoute de la nature ou pas ? Allons-nous continuer à la considérer comme un assemblage de molécules biochimiques inertes, sans intentionnalité, sans âme, ou comme une force de vie dotée d’une âme, d’une mémoire et d’une intelligence ? La forêt a une intention, qui structure le vivant : survivre, se développer et se diversifier. Il est important de ne pas imposer notre perspective humaine à la nature pour essayer de la contrôler et de la dominer, mais de lui demander humblement de nous apprendre à vivre en harmonie avec elle, à la cultiver et à avoir accès à ses ressources de manière respectueuse. C’est ainsi que se maintiendra le lien qui relie les règnes humain, animal, végétal, et que le vivant fera des cercles vertueux.
Le fait d’être à l’écoute peut nous permettre d’être encore plus conscients qu’aujourd’hui et de passer à l’acte pour la protéger plus...
La sensation d’appartenance au vivant, à laquelle vient s’ajouter la compréhension que la forêt est une mère, sont des concepts intellectuels séduisants, mais le fait de les ressentir dans son cœur et dans ses entrailles fait toute la différence. En écrivant ce livre, j’ai beaucoup pleuré. Quand je recevais certaines paroles de la forêt, j’étais ému aux larmes car son enseignement est une suite d’épiphanies : il y a tous les jours une nouvelle prise de conscience, alors que dans les religions patriarcales, l’éveil de la conscience a lieu exceptionnellement – lorsqu’il a lieu ! Avec la forêt, il y a cette générosité : c’est ici et maintenant, dans la nature. Écrire ce livre m’a conforté dans l’idée que je suis là pour apprendre en tant qu’être humain, et que j’en suis au même point que tout le monde. Lorsque j’y travaillais, la forêt allait chercher au plus profond de moi-même, dans mon comportement, dans ma manière de me nourrir, de consommer, de m’exprimer et de jardiner aussi. Pour en arriver là, il faut être à l’écoute, c’est-à-dire qu’il faut accepter que la forêt nous parle.
Voilà l’enjeu : s’accepter comme enfant de la forêt et recevoir son enseignement. Le jour où les êtres humains auront compris cela, on pourra envisager une guérison à grande échelle.
Pendant votre diète, vous avez ainsi été initié à la sagesse de la forêt amazonienne. Lors d’une première cérémonie, vous avez reçu cet enseignement : « L’intention est bonne, mais le cœur n’est pas pur ». Qu’est-ce que cela signifie ?
Cette phrase est le fil rouge de Mère. Elle m’a travaillé pendant toute l’écriture du livre et elle me travaille encore aujourd’hui. J’aime cette phrase, je la considère comme un koan zen, c’est-à-dire une parole donnée par le maître à son disciple. Et en ce qui me concerne, le maître, c’est la forêt. J’ai entendu cette phrase telle quelle dès la première cérémonie et elle me fait réfléchir tous les jours. Le fait qu’elle soit si pertinente, si profonde, est la preuve qu’elle vient bien de l’esprit de la forêt et pas de mon petit intellect limité !
Nous avons tous de bonnes intentions. Même la personne qui commet des actes répréhensibles le fait pour sa propre survie, pour se soulager ou se libérer de quelque chose, d’une tension, d’un mal être. L’intention va donc toujours dans le sens de « je le fais pour moi, pour mon bien ». Le problème, c’est que généralement, on s’arrête à l’intention, on ne cherche pas à savoir ce qu’il y a derrière elle. D’où vient-elle ? Quelle est la partie de moi qui génère cette intention ? La forêt explique que toutes les intentions, sans exception, viennent du cœur spirituel, au centre de notre être. Or, si l’on ne connaît pas les ombres et les lumières qui habitent ce cœur, on ne peut pas connaître la vraie nature de nos intentions. C’est le problème des êtres humains et de leur rapport aux autres, à la planète. D’où l’importance de regarder à l’intérieur de soi pour voir ses obscurités et les mettre en lumière. C’est un nettoyage, une purge, et c’est justement la fonction du travail chamanique au sens large, et plus particulièrement de la médecine amazonienne. Une fois que ces obscurités commencent à être nettoyées – c’est le travail d’une vie ! –, les intentions s’accordent avec le vivant et la forêt. Et naturellement, on travaille ensemble : humanité et nature, main dans la main.
Dans la Bible Segond 21, on peut lire cette phrase du Sermon sur la montagne de l’Évangile de Matthieu : « Heureux ceux qui reconnaissent leur pauvreté spirituelle », plutôt que le classique « heureux les pauvres d’esprit ». Cela rejoint ce que m’a dit la forêt : « Laurent, tu es certes quelqu’un de bien, tu es plein de bonnes intentions, mais ton cœur n’est pas pur, tu as des choses à travailler. » Reconnaître cet état de fait est le premier pas vers la réflexivité : je ne suis pas parfait et j’ai des choses à changer. Travailler sur notre cœur permet donc d’aligner nos intentions sur celles du vivant. De ce travail découlent ensuite nos actes positifs et constructifs.
Propos recueillis par Audrey Fella, Juin 2019
Matthieu Ricard, à propos de Mère, L’Enseignement spirituel de la forêt amazonienne :
« L’émerveillement face à l’Amazonie, que partage avec nous Laurent Huguelit, est une invitation au respect. »