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Quand les femmes pensent le monde
Extrait du nouveau livre de Monique Grande
La crise mondiale actuelle avec tous ses problèmes – inégalités, climat, surpopulation, migration, biodiversité, crise sanitaire – montre une société rattrapée par son ombre et sa folie. Les solutions, si elles existent, semblent inaccessibles à la politique comme elle est conçue en ce moment. La plupart des gens s’inquiètent et s’activent dans tous les sens, soit pour trouver des remèdes miraculeux, soit pour revenir à leur vie d’avant. Mais quand nous arrêtons de chercher avec notre cerveau cartésien, certaines réalités psychiques et métaphysiques se présentent à nous. C’est pourquoi nous les femmes, nous continuons de nous assoir en cercle. Nous explorons les choses, tranquillement, de l’intérieur. De manière intuitive, nous savons à quel moment il nous faudra parler, nous taire ou bondir. Nous n’essayons pas de cacher nos émotions sous le tapis, nous accueillons les larmes, les colères et les peurs avec la même bienveillance et la même profondeur, comme si elles devaient être célébrées.
Celles qui se retrouvent en cercle sont belles. Entre elles, rien n’est factice, rien n’est composé. Le retour à leur authenticité est immédiat. Des rides et des bourrelets, elles font une fête. J’adore leurs hanches endiablées, leurs sourires qui se hâtent et leurs seins emplis d’amour doux. Le cercle, c’est d’abord un véritable atelier de couture où l’on répare la dévalorisation léguée par des générations de femmes soumises, contraintes et asphyxiées par la loi masculine. C’est aussi une sorte de couveuse où l’on réapprend à se sentir digne d’attention et à s’octroyer le droit de recevoir. Enfin, c’est un lieu de délire permanent où on s’éclate en écoutant les petites histoires intérieures qu’on se raconte à soi-même pour passer à coté de nos rêves. Cependant, nous aurions tord de croire que les femmes se mentent, parce qu’au fond d’elles se trouve une épaisse couche de vérités nues et de lumière.
La chose la plus surprenante que j’ai apprise dans les cercles de paroles de femmes, c’est qu’ils agissent comme de purs sérums de vérité. Les femmes entre elles ne laissent rien passer. Si elles passent leur temps à tricoter les fils de l’ombre, impossible pour elles de se défiler. Les autres femmes dégainent illico leurs yeux de lynx et leur scalpel et vous décortiquent la situation en un rien de temps. Comme elles le font avec leurs maris ou leurs amants. Mais ensemble, elles le font avec humour. Néanmoins, ce qui est dit est dit. En réalité, quand elles s’assoient en cercle, sans le savoir, les femmes créent un pacte pour répondre ensemble à cette question bizarre : « Comment rester femme dans ce monde de brutes ?». Comme je m’intéresse particulièrement à cette question, j’ai envie de tourner la question dans un autre sens, ce qui devient : « Pourquoi les femmes ont-elles tant de problèmes pour agir dans le monde ? », et ma réponse est : « Le problème, c’est d’abord elles ! ». Car ce qui ressort le plus chez nous les femmes, c’est cette profonde insatisfaction cachée derrière notre envie d’expansion.
Le patriarcat tient les femmes avec un cadeau empoisonné : l’obligation de plaire ou de se conformer. Un formatage bien rodé puisque la féminité est devenue une féminité de séduction ou de bien-être. En réalité, cela écarte les femmes de leurs vraies responsabilités. Si bien que nous sommes nous les femmes devenues dépendantes de ce que les autres ont choisi pour nous. Nous sommes telles des pantins régentés par le diktat des hommes, anormalement contraintes et maladivement soumises. Mais la crise liée au Covid est passée par là. Elle révèle sans détour comment les hommes se sont accaparés toutes les sphères décisionnelles, dans une absence totale de cohérence et de sens. Au cœur de la moindre décision politique, uniquement des hommes. Pourquoi notre société demeure t’elle exclusivement aux mains du pouvoir masculin ? Pourquoi une telle invisibilité des femmes ?
Ce qui est inquiétant dans cette société délabrée que s’apprête à nous léguer nos chers politiciens, économistes, scientifiques, lobbyistes… c’est ce refroidissement du cœur, cette anesthésie des sentiments et des affects qui nous plongent toujours plus dans des routines, des résignations et des rigidités. D’où les dépressions, les angoisses face à l’avenir et les nombreuses solitudes. Nous sommes à la croisée de deux chemins. D’un côté le monde logique, froid, implacable et de l’autre, le monde humain, chaleureux, bienveillant. J’aime à penser que le féminin des hommes et des femmes est capable de créer un pont entre ces deux routes. Cette perspective pourrait bien créer un changement de cap pour l’humanité.
Plus que jamais, nous avons besoin de donner un sens à notre vie. Humaniser le monde revient à redonner du sens. C’est une tâche énorme qui comprend des risques. Le seul grand risque pour nous les femmes est d’être prises pour des niaises ou des demeurées. Car parler d’amour dans notre société est devenu incongru, presque immoral. Éveiller les autres au sentiment d’unité n’est pas côté en bourse et ne rapporte ni fortune ni laurier. Pourtant, cet éveil se jardine tous les jours. Il est à lui seul la seule manière de galvaniser les cœurs et de retisser du lien social.
Les cercles utilisent depuis des millénaires des exemples de partage et de consensus pour traiter les sujets de la vie en communauté. Ils relient les personnes entre elles, créent des liens de qualité, de convivialité, de soutien et de compassion. En ces temps particulièrement rudes et incertains, où le taux de consultations chez les psychothérapeutes et les psychologues sont au plus haut, le manque de lien et de proximité devient un fléau bien tangible. Les cercles sont là pour nous tenir en écoute, en sympathie et en affection quand l’adversité nous malmène trop violement.
Nous avons besoin de repères, la société en donne pour les hommes mais en prive les femmes. La preuve en est : cette assurance déconcertante de certains hommes hauts placés, ces mensonges du monde masculin pour des raisons de pouvoir et d’argent, cette corruption évidente qui règne dans les milieux influents, ces privilèges que certains hommes ont du mal à lâcher, cet écart qui s’aggrave entre le côté superficiel du profit à tout prix et le sens profond de la vie. La Covid19 ne semble pas avoir fait trembler la bourse. Dans les différentes sphères du pouvoir masculin, la corruption règne. Mais pour quel projet et avec quelle éthique ?
Plus question pour nous les femmes de rester en apnée dans une petite bulle de repli. Cette sagesse, ce cœur aimant, cette compassion naturelle que nous portons en nous se trouvent décuplées lorsque nous sommes réunies ensembles. A nous de transformer nos valeurs en actions. Nous avons besoin de consolider notre confiance, notre estime et de construire un socle vertueux qui nous encourage à oser plus. Nous avons besoin de nous réunir, de créer des collectifs, des courants résiliaires pour engendrer ensemble la vision d’un monde nouveau. Et pour débattre de manière éthique, neutre et intègre, le mieux est de s’assoir par terre en rond, comme à la maternelle.
Les cercles montrent que les relations entre individus fonctionnent mieux en mode circulaire qu’en mode hiérarchique Une percée de créativité, portée par toutes celles qui ont traversé des déserts arides en se donnant la main, peut à coup sûr générer un bouillonnement d’idées bien plus vigoureux que des énarques entrainés à parler la langue de bois. C’est une idée majeure à prendre en compte, une piste pour contribuer à la création d’une nouvelle société.
Vous redoutez de passer pour folle si vous tentez des percées humanisantes. Tant mieux. Si cela vous fait trop peur, rentrez vite dans les rangs. Ce sera plus confortable. Mais si vous ressentez des envies de lendemains qui chantent, alors continuez plus loin. Entrez dans le jeu de la vie et soyez créative. Être créative, ce n‘est pas quelque chose de réellement difficile. C’est un jeu, un mouvement naturel. Quand notre mental ou nos peurs interviennent trop dans nos élans d’invention, en réalité nous ruinons notre impulsions spontanées. Nous commençons à vouloir être parfaite, à vouloir être reconnue, à nous appliquer, à devenir hyper sérieuse. L’univers répond rarement à ce besoin de perfection. Être véritablement créative, c’est se laisser traverser et servir un but plus grand que soi à travers des talents tout à fait ordinaires, à travers ce que nous aimons faire naturellement.
La voie créative, c’est la coopération, le mélange des genres, l’alliance de douceur et de fermeté. J’aime l’idée d’une force féminine douce, d’une force tranquille suffisamment nourrie aux valeurs de cœur. Pour ça, nous avons besoin d’être alimentées nous-mêmes, de nous nourrir entre nous afin de fertiliser nos projets, nos enfants, nos partenaires et le monde. Quand les plus courageuses ont tendance à renoncer, le maternage féminin prend le relai. Le maternage, c’est la force féminine léguée de génération en génération, c’est le fil soyeux d’amour que nos mères, grands-mères et arrières grands-mères ont tricoté rien que pour nous, pour nous soutenir envers et contre tout. Quand ce tricotage bienveillant manque, les cercles représentent un bon moyen pour apprendre à s’auto materner.
La société actuelle ne materne pas les femmes créatives. Elle ne les inclue pas dans la grande toile de la communauté. A leur manière, les cercles pallient à ce déficit social. Ils sont des lieux de maternage extrêmement puissants. Ils nous apprennent à être fécondes de différentes manières et nous aident à identifier les pièges. Penser le monde et le recréer à notre image pourrait bien devenir enthousiasmant, un monde à la page empli de solutions inédites, guéri, vivant. Un monde dans lequel la raison, l’action et l’affirmation sont autant valorisées que la sensibilité, les émotions et l’intuition.
Chaque fois qu’un cercle de femmes prend fin, nous prenons du temps pour identifier ce que nos rencontres ont tissé : présence, engagement, sens des responsabilités personnelles et collectives, ancrage, alignement, accès au monde intérieur et aux émotions, empathie, réciprocité, alliance, respect, profondeur, acceptation… Toutes ces qualités sont inhérentes à la nature humaine mais elles sont bâillonnées par l’élite dirigeante sous prétexte de progrès économique et d’avancées technologiques. Nous héritons d’idées toutes faites selon lesquelles les femmes ont du cœur et les hommes non, mais il n’en est rien. Les hommes n’appartiennent pas à une race aveugle et sont capables de répondre aux enjeux de transformation de notre planète avec humanité.
Les relations hommes-femmes représentent les premiers lieux de guerre. Nous héritons de comportements pathologiques qui déséquilibrent les rapports entre les sexes. Ces attitudes pèsent sur les couples et perpétuent des générations d’hommes pressés et de femmes frustrées. Désormais, nous voulons du côte à côte, du faire ensemble. Il n’appartient qu’à nous de changer les choses de l’intérieur pour participer à la grande redéfinition du monde qui semble nous attendre, par la reliance, par la coopération, par l’entraide.
A ce stade, le sujet de la femme agissante pose une question cruciale. Trop boostées, nous nous identifions aux amazones guerrières, nous devenons dures, nous cherchons la performance à tout prix, nous nous transformons en homme raté. Pas assez boostées, nous manquons d’affirmation et de confiance en nous. Chaque fois que nous basculons dans la dureté ou l’hyperactivité, que nous nous éloignons de notre sensibilité et de nos sentiments, l’humanité redevient glaciale et déséquilibrée. Le plus grand danger pour la planète, c’est la manière dont nous les femmes, nous avons ingéré le modèle performant du masculin. La solution, c’est la voie du coeur, la recherche d’équilibre, la conscience du lien qui nous unit à nos compagnons, amis, collègues, à la nature, à l’univers, au féminin de l’être. C’est dans cette connexion que l’humanité peut réellement s’adoucir et avancer.
Humaniser le monde veut dire le repenser tant en débridant notre imagination. Revenir à des produits éthiques, faire du beau de manière écologique, défendre des valeurs d’équité, ajuster nos relations en les libérant du pouvoir que nous exerçons sur l’autre… nombreux sont les hommes et les femmes prêts à faire le pas. Et si l’effondrement de notre société était une chance pour relooker nos croyances et développer une nouvelle vision. Nous pourrions enfin nourrir des valeurs saines, fabriquer des possibles, tricoter du beau, du bon, recolorer nos rêves, s’inspirer les uns les autres et ouvrir de nouvelles voies.
Extrait du nouveau livre de Monique Grande : Quand les femmes pensent le monde