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L’énergie sexuelle :
Entre mythe et tabou
par Christina Zelzner et Bernard Pouey
Comment accompagner la maturation de l’énergie vitale tout au long de la vie ?
L’énergie sexuelle fascine et fait peur en même temps. Dans l’esprit de la plupart des gens, elle est associée à un acte sexuel et donc circonscrite à la chambre à coucher. Très chargée par les transmissions familiales inconscientes et le poids des religions patriarcales, elle est intimement reliée au « péché originel ». Ces messages, ainsi que les traumas transgénérationnels autour de la sexualité, ont profondément inscrit dans notre mémoire collective la croyance qu’être sexuel, désirer et vivre le plaisir pose problème. Il en résulte le plus souvent, des blocages non seulement au niveau de la sexualité, mais également dans le fait de désirer et de s’épanouir tout court. « Suis-je autorisé à désirer, à éprouver du plaisir, dans mon corps, au quotidien, dans toutes mes actions ? ». Telle est la question qui occupe bon nombre de personnes, remplit les stages de développement personnel et les cabinets de thérapeutes.
Or, puisque nous devons l’origine de notre vie à un acte sexuel, énergie sexuelle égale énergie vitale. L’énergie qui fait exploser les cellules au cours de la conception est la même que celle qui est à l’origine de toutes les actions métaboliques de notre corps, celle qui nous fait bouger, grandir, penser, réaliser, nous épanouir, nous accomplir, désirer et aimer.
C’est notre cher et décrié Freud qui, le premier, a réalisé cette observation il y a désormais plus d’un siècle et qui a dénommé cette énergie « la libido », ce qui lui a d'ailleurs valu, à l’époque déjà, de nombreux problèmes. Reich a par la suite élargi le champ de ce concept avec ses travaux sur la fonction de l’orgasme et sa théorie sur « l’orgone ». Depuis, tous les courants thérapeutiques, qu’ils soient psychocorporels ou pas, l'ont intégré. Et pourtant, le tabou reste intact.
La loi de l’énergie : contraction – expansion.
Dans notre pratique psychothérapeutique, nous avons pu observer que beaucoup d'entre nous avons peur de notre énergie vitale. Nous avons peur de notre désir, de notre colère, de nos émotions en général. Notre éducation qui favorise la forme mentale de notre énergie, ne propose aucun accompagnement pour nous enseigner comment nous approprier notre propre énergie dans ses nombreuses autres manifestations. Et tout particulièrement les formes émotionnelles de cette énergie. Il nous est demandé de « gérer nos émotions » mais nous n’apprenons pas à les mettre au service de notre épanouissement.
Or, il n’y pas d'émotions « négatives » à dompter ou à refouler, ni d'émotions « positives » à favoriser. Il y a seulement notre énergie vitale, qui soit se contracte et engendre des ressentis désagréables, ou bien qui est en expansion et génère alors des sensations agréables. Il nous est ainsi facile de passer par exemple de la peur à la curiosité, en respirant à l'intérieur de cette peur afin de la mettre en expansion pour la transformer en curiosité et en excitation. Ou bien d’utiliser l’énergie contenue dans la colère pour rétablir des limites qui ont été effractées, non pas en la déchargeant sur autrui, mais en consacrant sa puissance à ancrer notre propre position.
En prenant conscience et en intégrant cette réalité que l'ensemble du vivant est soumis à cette loi de l’énergie qui alterne entre contraction et expansion, il nous est possible de surfer sur les manifestations de notre énergie vitale afin de la mettre au service de notre épanouissement.
Les approches orientales.
En Orient, le concept de l’énergie vitale est à la base de courants thérapeutiques majeurs.
En médecine chinoise, le Tchi intègre cette énergie vitale, l’équilibre entre ses diverses manifestions étant décisif pour la santé de la personne. Équilibre égale santé, déséquilibre égale maladie. Ainsi dans l’ancien temps, il était dit que les médecins chinois étaient payés pour garder leurs patients en bonne santé, et non pour les traiter quand ils étaient malades !
Les pratiques taoïstes, issues de la médecine chinoise, œuvrent à faire circuler cette énergie dans le corps pour soutenir son bien-être et sa longévité.
La médecine ayurvédique nous enseigne, grâce au concept des chakras, quelle forme cette énergie prend à chaque étage de notre corps et nous montre comment faire circuler notre énergie sexuelle des chakras inférieurs vers les chakras supérieurs pour la transformer progressivement en énergie spirituelle. Ainsi, en liant notre terre à notre ciel nous sommes susceptibles d'atteindre l’éveil. La pratique du tantra permet d’explorer cette voie spirituelle traditionnelle.
Le psychosexuel.
Si les approches orientales s'intéressent à l'équilibre et à la circulation de l’énergie vitale, elles ne disent rien sur l’évolution de cette énergie dans le processus psychique du devenir adulte. Or, c’est notamment la maturation de l’énergie sexuelle qui est à l’origine du développement psychosexuel et psychoaffectif de l’enfant. Le psychosexuel et le psychoaffectif sont étroitement liés, puisque l’un conditionne l’autre. Il s’agit de la même énergie, exprimée de manière différente. Le psychosexuel concerne l’élan de vie quand le psychoaffectif est l’expression du lien d’amour. En tant que mammifères pensants, doté de la capacité de nous représenter nous-même, notre psyché intervient tant au niveau du sexuel que de l’affectif. Ainsi, dès notre conception, l’enfant que nous avons été a « donné un sens » à ses perceptions, qui se sont engrammées dans notre mémoire corporelle en tant qu’empreintes et qui ont conditionné par là-même notre future personnalité.
L’énergie qui est à l’origine de la vie est sexuelle. Et l’énergie qui nous porte à travers de la vie l’est également. Le bébé vient au monde en passant par le vagin de sa mère. La naissance est donc un acte « à caractère sexuel » et peut même, dans un état de totale détente de la mère, devenir orgasmique. Le bébé est ensuite posé sur le corps de sa mère, peau à peau, puis tète le sein avec bonheur, ce qui est susceptible de provoquer également du plaisir chez la mère. Doté des deux zones « érogènes » que sont sa bouche et sa peau, il ressent du plaisir en étant en contact corporel avec sa mère. Et, espérons-le, sa mère également. C’est ce plaisir partagé, innocent dans sa forme orale, qui est à la base du bien-être du bébé futur adulte, car il lui permet de s’incarner pleinement dans son corps puisqu’il se sent aimé et en sécurité. Ce plaisir partagé l'amène à construire son estime de soi.
Et puis, bébé apprend à bouger, ressent la joie de se mouvoir et par là-même de découvrir. Sa zone érogène va se déplacer de la bouche à l’anus où il va éprouver le plaisir de retenir et de lâcher, de décider par lui-même, de dire « non », de s’affirmer en ne faisant qu’à sa tête. C’est le plaisir anal, le plaisir d’exister, de provoquer, et de transgresser. Le plaisir d’appartenir à soi-même, tout en étant aimé dans sa différence. Et si ses parents ressentent du plaisir à voir leur bébé grandir et devenir un enfant, il construit sa personnalité en affirmant ses limites en toute sécurité affective et en éprouvant le plaisir d'être lui-même.
Enfin, en grandissant encore, vers l’âge de trois ans, la zone érogène se déplace désormais sur les organes génitaux et l’enfant se découvre être sexué. Ici, c’est également le plaisir des parents à soutenir leur enfant en le reconnaissant dans son identité sexuée, qui est primordiale pour le plaisir de l’enfant à se sentir être un petit garçon ou une petite fille.
C’est en étant accompagné avec amour par ses parents que l’enfant construit sa capacité au bonheur et au plaisir. Les différentes étapes se soutiennent les unes les autres. C’est en se sentant aimé et en sécurité au stade oral qu’il est possible de s’appartenir et de poser ses limites au stade anal, pour ensuite investir son identité sexuée au stade de la génitalité, jusqu'à construire son identité sexuelle à l’étape de l’adolescence.
Mais l'évolution de l’énergie sexuelle ne s’arrête pas là. Elle continue à agir tout au long de la vie, sa forme d’expression, le désir et le plaisir éprouvés changeant au fil du temps. Elle cherche à explorer tout d'abord, puis à équilibrer ensuite, les polarités féminine et masculine de l'adulte. Au fur et à mesure de l'avancée en âge, elle se densifie progressivement et se tourne de plus en plus vers l’intérieur, jusqu’à retourner, à terme, là d'où elle est venue.
Christina Zelzner et Bernard Pouey