meditationfrance, méditation, tantra, connaissance de soi
Les archives de Meditationfrance

L'ART DE COMMUNIQUER PAR LE TOUCHER

L'art de communiquer par le toucher

Par Francis Lemaire

Attardons nous sur le mot "toucher".

Comme je le dit souvent : "Attention, être touché(e) peut être touchant".
Évidemment !
Cela pourrait avoir l'air d'une boutade, mais il se trouve que d'une certaine manière, des êtres humains me demandent un massage tout en spécifiant quasiment qu'ils ne veulent pas être touchés. "Massez mon corps, mais ne me touchez pas s'il vous plaît", "Massez mon corps, mais pas moi".

Et pourtant je n'arrête pas de préciser que ce n'est pas seulement un corps qui est massé mais une personne, c'est elle qui est visée. C'est à cette personne que je propose d'être touchée.
J'imagine bien cependant dans quelle souffrance peut se trouver une personne qui a toujours cru et d'une certaine manière expérimenté, qu'elle pouvait échapper à la "dureté" de la vie en s'endurcissant elle-même.

Tout un chacun, nous faisons cela, pour ne pas vivre les événements, les situations qui nous sont trop pénibles émotionnellement, nous nous retirons de notre sensibilité. C'est comme si notre espace sensible se rétrécissait, se restreignait à l'intérieur de nous-mêmes (quelquefois, il y a tellement si peu de place existentielle à l'intérieur, que l'être trouve à s'échapper et à trouver une forme de sécurité à l'extérieur de son corps, mais c'est une autre histoire).
Je ne prends pas d'exemple, mais vous savez bien que quand vous vous sentez blessé(e), c'est plutôt la crispation qui s'installe, c'est la réaction la plus courante quand nous nous sentons vulnérables, nous diminuons notre présence, sans nous rendre compte que nous en devenons encore plus vulnérables...

Mais, cette croyance que nous pouvons échapper à la dureté du monde en nous endurcissant (combien de parents disent de leurs enfants : "ça lui fera du bien, il faut qu'il s'endurcisse") a ses limites. C'est la bonne nouvelle.

Il faut bien comprendre qu'à un moment de notre vie, la surcharge émotionnelle a été telle que nous n'avons pas eu d'autre choix pour survivre que de réagir de cette manière. C'est bien d'accord. Il n'y a donc absolument rien à se reprocher. Mais c'est aujourd'hui que se passe l'histoire. Aujourd'hui, cet être est devenu adulte, avec de nouvelles capacités. Simplement, son corps a mémorisé une expérience (insoutenable) ainsi que la solution qui semblait appropriée à l'époque, le "rétrécissement" à l'intérieur de soi, c'est à dire, une manière de ne plus être sensible là où ça fait mal, de ne plus être touché(e). Mais la vie vient nous toucher tous les jours. Que voulez-vous qu'elle fasse d'autre, la vie ? Quand vous vous baignez, vous aurez beau rentrer le ventre, l’eau continuera à vous coller à la peau. Il en va de même pour la vie.

Ainsi, en continuant à ne pas être là où nous avons été blessés, chaque jour notre espace rétrécit, et nous finissons par devenir tout petits à l'intérieur de nous-mêmes, même si cela ne nous empêche pas d'avoir des relations, des amis, de travailler, en un mot de fonctionner. Tout va bien, sauf l'essentiel. Le cœur n'y est pas.
Et c'est cela la bonne nouvelle : un jour nous nous apercevons que ce qui était censé nous protéger, nous enferme. Restreint notre liberté, limite notre respiration, nos mouvements, notre espace vital. Le besoin de se retrouver s'éveille, de re-devenir fidèle à soi-même et non plus à toutes les vieilles idées qui nous maintiennent dans la peur. Ce jour-là, la décision se prend. "J'ai assez fait de concessions à ma peur", et plus simplement : "Je n'en peux plus, il faut que ça change".

Et qu'est-ce qui doit changer ?
C'est tout simplement la possibilité d'être touché(e) là où le refus d'être touché s'était installé. Et ainsi petit à petit, il est possible de retrouver son espace vital, sa sensibilité, sa liberté de mouvement intérieur. Cela passe par le corps, effectivement, la libération des tensions, conscientes et inconscientes, redonne de l'espace et la conscience s'introduit à nouveau dans ces espaces abandonnés, avec son flot de mémoire, d'émotions oubliées, mais tellement plus vivante !

Cet art est une invitation.
Vous pouvez refuser d'être touché, même pendant un massage. Mais ne me demandez pas de ne pas vous inviter à l'être, je ne sais pas le faire. Je ne sais pas masser un corps sans masser une personne. Ce serait me nier moi-même et nier l'humanité en moi.
A vous de répondre à cette invitation, dans la mesure de votre possibilité. C'est votre part du chemin.

L'art de communiquer par le toucher

Maintenant attardons-nous sur le mot "communiquer".

Comme vous le savez, chaque séance comporte un temps d'échange, le plus souvent verbal, avant et après le massage. Maintenant que nous sommes intimes, je peux bien vous le dire, il arrive parfois que dans une séance, ce ne soit pas le massage le plus important. Il arrive même qu'il y ait des séances sans massage, tout simplement parce ce n'est pas ce qui semble le plus juste ou le plus utile à ce moment là. Mais gardez ça pour vous !

Ce n'est pas le sujet, mais je sens bien au téléphone ou en séjour des personnes se demander à quoi servent ces temps et même à en être surprises. Pour quoi faire ? D'autres entrent dans la salle et sont déjà en train de se déshabiller comme si elles étaient pressées d'en finir. Vu la qualité du massage, je peux bien comprendre ;-). Mais si nous prenions contact ?

Chaque séance est une rencontre. Et dès le début de la séance, nous sommes déjà en train de nous rencontrer. Avant même de décrocher le téléphone pour prendre rendez-vous, nous sommes déjà en train de nous rencontrer, de tisser des liens.

Alors je réponds une chose simple : j'ai besoin de savoir ce qui vous amène, qui est cette personne qui vient me rencontrer et l'idée qu'elle se fait de ce qu'elle vient chercher. C'est aussi l'occasion de faire une pause, de casser ce rythme incessant qui non content de nous faire courir après le travail, les courses, les gosses, le prince charmant, nous fait courir aussi chez le masseur de bien-être et nous jeter sur la table de massage en criant "débarrassez moi vite de ce stress, j'ai rendez-vous avec le fisc à 16h".
Et si nous prenions contact ?

Juste le temps de se dire, tiens, mais il y a quelqu'un dans cette salle ! Et s'il y a quelqu'un dans cette salle, j'y suis peut-être aussi ?!

Et donc ce premier temps sert à se rencontrer. Et surtout, c'est une manière de commencer à se toucher. Hé oui, il y a des choses qui nous touchent, rien d’étrange à cela. Les paroles aussi nous touchent, une attitude, un regard, autant de possibilités de commencer à reprendre contact avec soi-même, de faire chuter la pression, de se souvenir de pour quoi on est venu et de pénétrer déjà dans cet espace intérieur qui nous mène à nous-mêmes.

A la fin du massage, il y aura aussi un temps d'échange, après le temps nécessaire à continuer à goûter les impressions corporelles qui perdurent. Et ce temps d'échange n'est pas un compte rendu. Il s'agit juste de faire part de ce qui est là, quelquefois encore un peu brumeux, juste dans l'ombre, au bord de la conscience et qui peut s'éclairer si l'on veut bien laisser s'exprimer ce qui a à l'être, y compris si c'est totalement inconnu. A ce moment une trace de l'expérience vécue se met en place, non pas pour la figer ou l'interpréter, mais simplement pour en éclairer les contours et ne pas laisser retourner dans l'ombre ce qui a été vécu et expérimenté.

L'art de communiquer par le toucher

Arrivons-en à la communication :
Finalement la personne allongée n'a rien à faire, juste sentir, goûter, venir à la rencontre. Elle n'a pas à communiquer quoi que ce soit, dans une forme de réciprocité. Venir au contact de la personne qui vous touche ne signifie pas de faire un massage en retour. La personne qui reçoit le massage n'a rien à donner en retour. Je le précise car c'est ce que certains ont cru comprendre. Non, rien à faire. Juste à laisser s'exprimer ce qui cherche à s'exprimer, éventuellement, et dans ce cas sans retenue.
Mais quelle est donc cette communication ?
Vous n'avez rien à faire pour communiquer. Vous communiquez déjà tout le temps. Par votre respiration, par vos mimiques, vos micro-mouvements, vos soupirs, vos retenues... En fait, vous communiquez par votre manière d'être présent, d'habiter votre corps, d'inviter le masseur par un mouvement imperceptible (ou presque) à venir vous rencontrer là où vous en avez besoin. Ne vous posez pas cette question : "Que dois-je communiquer". C'est déjà là. La seule chose que vous ayez à faire, c'est de ne pas empêcher cette communication, c'est à dire de ne pas chercher à la contrôler.

Et à ce moment, lorsque l'un et l'autre ouvrent leur espace, il arrive que le masseur et le massé agissent ensemble pour que le massage se fasse. Il n'y a plus alors d'un côté le receveur, de l'autre le donneur, il y a l'ouverture d'un espace commun, l'espace de l'être.

Francis Lemaire