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Musique et architecture sacrée

Alain Kremski 

par Alain Kremski

Alain Kremski, né à Paris en 1940. Etrange parcours que celui d'Alain Kremski… Après de brillantes études, encouragé par de nombreuses personnalités (Igor Stravinski, Nadia Boulanger, Darius Milhaud, Olivier Messiaen) il remporte le Premier Grand Prix de Rome de composition à 22 ans puis séjourne trois ans à la Villa Médicis, où il se lie d'amitié avec le peintre Balthus, qui lui communique sa passion pour la peinture, la sculpture, la littérature et les voyages…
il délaisse les chemins d’une carrière toute tracée pour explorer l'univers mystique des sons des cloches de temples, gongs, bols bouddhiques (Japon, Chine) et bols chantants (Tibet, Népal).
La Sacem lui décerne en 2013 le Grand Prix de la Musique symphonique et le distingue pour l'ensemble de sa carrière.

31.12.2018 : Alain Kremski est mort à l'âge de 78 ans des suites d'un accident vasculaire cérébral survenu peu avant un concert qu'il devait donner sur l'Île Saint-Louis.

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« ... Lorsqu'un musicien rentre dans un espace architectural, il a l'impression de se promener à l'intérieur d'une MUSIQUE, musique qui s'invente, se dévoile et se déroule tout au long de son parcours, selon son imagination et ses perceptions.

C'est pourquoi certains compositeurs aiment faire exécuter leurs oeuvres dans des édifices baroques, grandiose, étranges, plutôt que dans une salle de concert.

Lorsque je pénètre dans le temple d'Agrippa à Rome, la basilique de Vézelay, la grande salle du Couvent de la Tourette construit par Le Corbusier, ou la Cité Interdite à Pékin, je reçois des impressions dans ces lieux « chargés » qui se transforment immédiatement et subtilement en Musique à l'intérieur de mon corps.

L'architecture, et en particulier l'architecture sacrée, m'apparaît alors comme une aide, un moyen de transformation intérieure, un pouvoir, une démarche consciente de l'architecte pour opérer dans l'homme un processus alchimique.

Mon regard parcourt lentement les lignes, les perspectives, allant tranquillement jusqu'au plus « haut et lointain possibles », jusqu'à en éprouver un certain vertige.
Selon les volumes, l'Espace et l'Energie d'un lieu, ma respiration s'accélère ou se calme, ma voix change, des visions s'enchaînent ... Des sons, des rumeurs harmonieuses, des bourdonnements pieux, des chants m'envahissent, et prennent possession de moi.

Ombres et lumières, courbes, volumes se transforment, s'incarnent en trompettes exaltées, choeurs mystérieux ou barbares, percussions sourdes, violoncelles lointains, flûtes célestes, voix d'anges ou d'enfants, que sais-je encore... Tout un imaginaire musical et poétique...

Dans chaque volume, chaque espace, chaque construction, il existe un silence particulier, et à l'intérieur de ce silence un Son spécial, spécifique à ce lieu.

Une architecture sacrée permet une nouvelle relation entre l'Espace et le Temps, et une nouvelle conscience de soi, à travers le corps, les émotions, le mental.
Une porte, un seuil, un passage, prennent alors une signification symbolique. La relation entre mon corps et l'espace change. Les impressions ne provoquent pas d'associations mentales mécaniques, comme dans la vie quotidienne...

Malgré une apparente immobilité, une architecture vibre et agit sur l'être humain.
Comme la musique, elle a un pouvoir actif, et il dépend des architectes, de leurs buts, de leurs désirs et de leurs degrés de connaissance, que ce pouvoir ait une action bénéfique et harmonieuse sur l'homme, et sur un simple plan vital, sur son bien-être et sa santé.
Comme il est dit dans la « tradition secrète du No » : ...par le fait qu'il apaise les esprits de tous les hommes, ce qu'on appelle ART pourrait constituer le point de départ d'un accroissement de longévité et de bonheur, un moyen de prolonger la vie...»

Dans la musique, ll existe un mystère et un espace dans le passage du Son au Silence. De même, dans une architecture sacrée, je ressens plus profondément la relation mystérieuse entre le Plein et le Vide, et je comprends mieux cette science du rythme et des intervalles, essentielle en musique comme en architecture... Et ce passage si important de deux à trois : nous ne sommes plus alors dans les limites du système binaire, mais dans la plénitude du ternaire, l'expression d'une trinité.

Dans la Chine ancienne, il était dit que « l'homme est un médiateur entre le ciel et la terre... »
Ce qui m'attire également dans l'architecture, c'est qu'elle va à la fois vers le réel, le concret, la matière , et le rêve, la création, l'irrationnel.
C'est pourquoi je relie l'architecture à l'art des jardins, espaces de l'imaginaire, Espaces immenses ou intimes, géométriques ou savamment désordonnés et fantaisistes.

Espaces libres, harmonieux ou sauvages... Espaces où la terre, le ciel et la végétation se rencontrent, vibrant de mille rumeurs musicales, bruissements, souffles, murmures du vent dans les arbres et les feuillages, pluie, petits sons mats et poétiques des bambous et des pierres, tintements fragiles de petites cloches, sons cristallins et frais des fontaines, chants des oiseaux...

Dans les temps anciens, les architectures et les jardins étaient considérés comme des « enseignements », des miroirs et des mémoires de l'ordre cosmique. C'est pourquoi il est dit dans la tradition perse, que « quiconque construit un jardin devient, de ce fait, un allié de la lumière... »

Alain Kremski