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On vous manipule dès que l'on vous propose d'être autre chose que vous-même.
Un extrait d'un atelier de Luis Ansa
Quand on veut vous manipuler, dit Luis Ansa, on va vous promettre le ciel et la terre à travers un enseignement, à travers une thérapie, à travers un pouvoir que l’on attribue à un gourou ou à un chef de secte. Et des tas de gens vont y croire, des tas de gens seront même prêts à payer pour y avoir accès.
Mais qui sont ces gens qui vont y croire ? Vous allez tout de suite me dire : « Ah non, certainement pas moi ! »
Et pourquoi les autres tomberaient dans le panneau et pas vous ? Qu’est-ce qui vous fait croire que vous seriez moins naïfs ?
Qu’est-ce qui vous fait croire, surtout, que vous ne pourriez pas devenir vous-mêmes fanatiques et intolérants ? Qu’est-ce qui vous empêche de basculer dans un sectarisme ? Qu’est-ce qui vous empêche de transformer la voie du sentir en une secte ?
Posez-vous la question. Et vous allez voir si, en vous, il n’y a pas ce désir sectaire d’accéder à un pouvoir.
Pouvoir, pouvoir, pouvoir ! Tout le monde, ici, est susceptible de tomber dans la recherche du pouvoir.
Comment cela fonctionne-t-il ? Qu’est-ce que les sectes vous promettent ? Du malheur, de l’infortune, de la détresse ? Non, elles vous promettent le ciel, le bonheur, la rencontre du bon époux ou de la bonne épouse, la réussite intérieure. Tous les pièges du pouvoir sont là.
On vous manipule toujours par le pouvoir de la parole. Il ne s’agit donc pas d’écouter ce qui est dit mais de voir les actes qui sont posés. C’est comme dans la drague, on vous fait croire ce que vous voulez entendre. Les méthodes du marketing pour avoir des clients, pour vendre un produit et pour faire de l’argent ne font qu’utiliser l’image et la parole.
Pour vous manipuler, l’image du maître doit donc être contrôlée, elle doit être au-delà de tout ce que l’on peut penser : c’est un surhumain, un démiurge qui a tous les pouvoirs, qui sait tout, qui peut tout.
Et les gens le croient !
Toutes sortes de faux maîtres pullulent. Ils travaillent en laissant les gens avec des béquilles et ils leur certifient qu’il faut avoir des béquilles. Mais comme je le dis souvent, si la fausse monnaie existe, c’est parce que la vraie existe aussi.
Alors, regardez les situations humaines, les situations sociales, ouvrez les yeux, soyez un peu moins stupides et demandez-vous pour quelles raisons toutes ces choses se produisent. C’est parce qu’il existe des stratégies de langage qui sont redoutables : « Venez chez nous, ici, vous allez être heureux, vous serez aimé. Le Maître va vous amener le ciel, vous révéler à vous-même. Il va vous donner l’ouverture de l’esprit… »
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On vous manipule dès que l’on vous propose d’être autre chose que ce que vous êtes. (...)
C’est pour cela que dans la voie du sentir et dans ce travail sensitif, il n’y a aucun dogme, aucun devoir. Je vous ai dit chaque fois : « soyez libre ! » Surtout, soyez libre ! Je ne suis en rien supérieur à vous, vous n’êtes en rien supérieur à moi. Vous n’êtes pas inférieurs non plus. Nous sommes des amis faisant un travail d’exploration.
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Je ne critique pas les sectes, je les vomis. Je trouve immonde la façon dont quelqu’un peut manipuler quelqu’un d’autre.
Vous devez examiner très attentivement à l’intérieur de vous ce qui peut vous rendre sensible à une manipulation mentale. Comme vous êtes intelligents et cultivés, que vous avez du confort et de la sécurité, vous êtes persuadés que vous ne pourriez pas tomber dans un tel piège. C’est à cause de cette idée que vous ne voyez pas le danger.
Quand on s’endort, que l’on se croit vacciné contre tout poison, on baisse la garde et c’est là que pique le serpent. C’est pourquoi je vous dis : soyez attentifs, soyez toujours attentifs ! Le mal connaît les faiblesses du bien mais le bien ne connaît pas les stratégies du mal.
Alors ne vous privez pas du discernement, d’une forme d’autodéfense et de protection, d’un certain jugement. Si votre tendance à juger constamment l’autre est néfaste, il ne faut pas pour autant éliminer toute capacité de jugement. Les excès, d’un côté comme de l’autre, sont mauvais. Gardez votre bon sens !
Quelle est la nature de ce phénomène sectaire ? C’est le résultat du pouvoir, de l’absence profonde de morale, d’un embobinage colossal, avec des phrases bien choisies : « vous êtes en dessous de votre valeur, vous avez une personnalité brillante, il faut que vous éclatiez, que vous deveniez comme ceci… »
En face de cela, soyez « vous » ! Cessez de rêver d’être un Clint Eastwood, une Brigitte Bardot ou un grand maître spirituel.
Je ne peux avoir de la gratitude que pour ce que je suis, pas pour ce que je pourrais être. Je vise ce que je suis aujourd’hui et j’avance avec ce que je suis aujourd’hui. Vous comprenez ? Vous devez trouver votre propre identité, pas la mienne, la vôtre.
C’est pour cela qu’ici, il n’y a pas de Maître, pas de chef. Ici, on est dans une structure horizontale, pas pyramidale. On fait un travail ensemble, en amis. Parce qu’aussi longtemps que l’on maintient une hiérarchie, le pouvoir est là. Et aussi longtemps que le pouvoir est là, la peur est là.
C’est aussi simple que cela.
Donc, je n’enseigne pas la voie du sentir, je vous donne des outils pour que vous puissiez vous libérer de vous-même.
S’étudier soi-même, c’est observer comment on se comporte. C’est cela le travail intérieur. Regardez comment vous vous comportez avec un garçon de café, avec votre collègue de travail, avec votre femme ou votre mari, avec les personnes que vous côtoyez à l’atelier. Dans ce travail, l’introspection n’est pas recommandable parce que c’est en situation, c’est dans les actes, que l’on voit qui on est.
Il y a encore un aspect particulièrement dangereux auquel vous devez faire attention. C’est le : « Je suis hors de toute question », « Je n’ai pas à me justifier ! »
Méfiez-vous de cette arrogance que vous pourriez avoir ; c’est le pire sectarisme, le pire totalitarisme que vous pouvez créer en vous-même ! L’assurance d’être exempt de toute critique, de toute remise en question, est le signe que vous êtes complètement à côté de la plaque. Vous vous croyez arrivé quelque part. Vous avez la certitude de ne pas vous tromper, de savoir…
J’ai déraciné au maximum la peur qui m’habitait depuis l’enfance mais j’en ai gardé une, que je cultive, la peur d’être un con total. Cette peur est positive, cultivez-la vous aussi ! La peur d’être idiot, la peur de me laisser embarquer par mes propres imbécillités ou par celles des autres, me maintient dans un état de vigilance permanente.
Il ne faut pas être manipulable. Et pour ne pas être manipulable, il faut avoir une petite peur bien éveillée, comme une veilleuse qui est là, présente quand l’autre parle, et qui dit : « Attention, tu es en train de te faire avoir. Attention, tu baisses la garde. Attention, tu te fais embobiner. Attention, on te peigne dans le sens du poil ! » Il faut avoir cette lumière toujours allumée ! Si je l’éteins, c’est foutu.
Extrait du chapitre 15 du livre « Luis Ansa, la voie du Sentir » Editions du Relié, 2015
Luis Ansa (1922-2011) est né à Córdoba, en Argentine, d'une mère indienne quechua et d'un père espagnol. A la mort de sa mère, il quitte son père et vit de petits métiers. Puis, durant son adolescence, sur les bords du lac Titicaca, il est initié à l'art de vivre des chamans. Par la suite, Luis Ansa a eu onze maîtres, des hommes et des femmes issus de différentes traditions (chamanisme, hermétisme chrétien, zen, hindouisme, bouddhisme, soufisme).
Il s'est éveillé auprès du maître Omar Ali Shah et a été reconnu "nagual" (maître de chamanes) dans la tradition toltèque.
Dans le début des années 90, Luis Ansa crée « la voie du Sentir », offrant aux femmes et aux hommes d'aujourd’hui, une voie adaptée à notre époque et aux caractéristiques de notre société occidentale.
Luis Ansa ne s’est jamais laissé enfermer dans l’image d’un maître spirituel, refusant toute étiquette ou classification.
Il a également toujours œuvré dans le don, offrant sans cesse son temps, sa disponibilité et son amour, et cherchant constamment à rendre libres et responsables tous ceux qui l’approchaient.