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L'accomplissement

par Jiddu Krishnamurti (1895 -1986)


krishnamurti

Elle était mariée, mais elle n'avait pas d'enfants. Sur le plan matériel, disait-elle, elle était heureuse ; elle n'avait pas de problèmes d'argent, et il y avait les voitures, les bons hôtels et les voyages à travers le monde. Son mari était à la tête d'importantes affaires, et son plus grand souci était de veiller à ce que sa femme ne manquât de rien. Ils étaient tous les deux jeunes et aimables. Elle s'intéressait à la science et aux arts, et elle s'était quelque peu mêlée de religion ; mais maintenant, disait-elle, les choses de l'esprit reléguaient tout à l'arrière-plan.

Elle connaissait les enseignements des diverses religions ; mais, déçue par leurs organisations, leurs rituels et leurs dogmes, elle désirait sérieusement se mettre en quête de choses réelles. Elle avait fréquenté des maîtres spirituels dans toutes les parties du monde, mais aucun ne lui avait don- né satisfaction. Son insatisfaction ne provenait pas du fait qu'elle n'avait pas eu d'enfants, elle avait analysé cela très à fond. Son insatisfaction ne provenait pas non plus d'aucune frustration sociale, elle s'était fait psychanalyser par un des spécialistes les plus éminents, et elle éprouvait toujours cette douleur et ce vide intérieurs.

Chercher à s'accomplir, c'est appeler la frustration. Il ne peut pas y avoir accomplissement du moi, mais seulement accroissement du moi par les possessions qu'il re- cherche avidement. La possession, à quelque niveau que ce soit, donne au moi le sentiment de la puissance, de la richesse, de l'activité, et c'est cette sensation qui est appelée accomplissement ; mais comme toutes les sensations, elle s'affaiblit bientôt, pour être remplacée par une autre plus agréable. Nous avons tous l'habitude de ce processus de remplacement et de substitution, et c'est un jeu qui amuse la plupart d'entre nous.

Certains, toutefois, désirent une satisfaction plus durable, et qui les comble jusqu'à la fin de leur vie ; et lorsqu'ils l'ont trouvée, ils ne veulent plus être dé- rangés. Mais c'est là une peur du dérangement permanente, inconsciente, et de subtiles formes de résistances sont cultivées et sous lesquelles l'esprit s'abrite ; aussi la peur de la mort est-elle inévitable. L'accomplissement et la peur de la mort sont les deux aspects d'un même processus: le renforcement du moi. Après tout, l'accomplissement est l'identification totale à quelque chose - aux enfants, aux biens, aux idées. Les enfants et les biens sont plus ou moins aléatoires, mais les idées offrent une plus grande sécurité. Les mots, qui sont des idées et des souvenirs, avec leurs sensations, deviennent importants ; et l'accomplissement ou la perfection devient alors le mot.

sagesse

Il n'y a pas d'accomplissement du moi, mais seulement perpétuation du moi, avec ses conflits toujours croissants, ses antagonismes et ses souffrances. Chercher une satisfaction durable, à quelque niveau de notre être que ce soit, c'est engendrer de la confusion et de la douleur ; car la satisfaction ne peut jamais durer. Vous pouvez vous souvenir d'une expérience agréable, mais l'expérience est morte, il n'en reste que le souvenir. Ce souvenir n'a aucune existence propre ; mais votre réponse inadéquate au présent lui donne un semblant de vie. Vous vivez de ce qui est mort, comme la plu- part d'entre nous. L'ignorance des modes d'action du moi mène à l'illusion ; et une fois qu'on est pris dans le filet de l'illusion, il est extrêmement difficile de s'en dégager. Il est difficile de reconnaître une illusion, car, étant donné que c'est l'esprit qui l'a fait naître, l'esprit ne peut pas en avoir conscience.

Il faut l'approcher négativement, indirectement. Tant que l'on n'a pas compris la façon dont le désir agit, l'illusion est inévitable. La compréhension ne vient pas par un effort de la volonté, mais seulement lorsque l'esprit est immobile. On ne peut pas immobiliser l'esprit, car celui qui impose cette immobilité est lui-même un produit de l'esprit, du désir. Il faut avoir conscience, lucidement, de tout ce processus, il faut qu'il y ait lucidité sans choix ; alors seulement est-il possible de ne pas engendrer l'illusion. L'illusion procure de grandes satisfactions, et c'est pour cela que nous tenons tant à elle.

L'illusion peut faire souffrir, mais cette souffrance même trahit notre imperfection et nous pousse à nous identifier complètement à l'illusion. Cette illusion tient une grande place dans notre vie ; elle permet de masquer ce qui est, non pas au dehors, mais à l'intérieur. Cette indifférence pour ce qui est à l'intérieur conduit à une interprétation erronée de ce qui est à l'extérieur, et cette erreur engendre la destruction et la souffrance. C'est la peur qui pousse à masquer ce qui est. La peur ne peut jamais être supprimée par un acte de volonté, car la volonté est le résultat de la résistance. Ce n'est que dans la lucidité passive et cependant vigilante qu'on est libéré de la peur. - Jiddu Krishnamurti

Note 35 - L'accomplissement - Commentaire sur la vie tome 1