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Comprendre le terrorisme
Interview de Eckhart Tolle
Eckhart Tolle, enseignant spirituel, est l'auteur du best-seller "Le Pouvoir du Moment Présent".
Dans cette interview, il parle des terroristes, des conflits humains et des armes de destruction massive.
Josh Max : En parlant d’armes de destruction massive ; qu'est-ce qu'on fait à ce sujet ? Que faire des pays qui souhaitent beaucoup de mal à notre pays ? Quelle est l’alternative si l’autre camp est déterminé au suicide, comme l’étaient les hommes du 11 septembre ? Si vous disposez d’une vaste armée, que faites-vous ?
Eckhart Tolle : Je ne sais pas ce que je ferais, car je ne peux savoir que ce qui est juste dans une situation réelle qui exige une réponse. C'est très difficile quand on regarde des hypothèses. Ce que nous pouvons faire, c'est examiner le dysfonctionnement dans ses aspects collectifs auquel nous assistons actuellement.
On voit par exemple ce qui se passe au Moyen-Orient avec l'éternel conflit insensé entre Israël et la Palestine. Nous pouvons voir à quel point chaque faction est totalement convaincue que sa position mentale est la bonne. Chaque faction se considère comme la victime de l’autre. Il y a un écrivain que j'ai lu l'année dernière qui disait que chaque camp ne pouvait reconnaître aucun récit autre que le sien ; c'est également vrai. Le récit désigne l’histoire à travers laquelle vous interprétez la réalité.
Les gens ont des histoires collectives qui sont des perspectives et des positions mentales. Bien sûr, quand ils vous l’expliquent, cela semble tout à fait vrai. Ensuite, vous passez à l’autre histoire, et ils vous l’expliquent, et cela semble tout à fait vrai. Tous deux sont tellement ancrés dans leur récit, leurs positions mentales et leurs identifications à des positions mentales qu’ils ne peuvent rien voir d’autre. Cela symbolise vraiment ce qui est au cœur du dysfonctionnement humain.
Là, vous le voyez exprimé collectivement. Une incapacité à détenir la vérité dans votre conscience. S'élever au-dessus des polarités et dire : voici cette perspective qui est la nôtre, et je peux aussi voir l'autre perspective qui est la vôtre. Si les deux pouvaient le faire – même si l’un des partis pouvait le faire –, cette folie prendrait fin. Cela ne se perpétue que par deux. Vous pouvez voir la même chose dans les relations personnelles, vous pouvez voir la même chose dans les mariages qui existent en état de guerre. Les deux sont ancrés. Il y a ce besoin constant d’avoir raison. Ce que cela signifie en fin de compte, c'est qu'ils sont identifiés à la pensée. Ils ne sont pas sortis de la structure de la pensée : de leur position mentale, de leur position de pensée. La manière de sortir de la folie est de reconnaître la pensée comme une simple pensée. Voir votre propre courant de pensée, voir qu’aucune pensée ne peut résumer toute la vérité dans n’importe quelle situation. Il faut sortir de la pensée pour voir cela. Devenir la conscience en dehors de la pensée. Certaines personnes sont chassées de la pensée à cause de la souffrance, d’autres peuvent sortir de la pensée parce qu’elles voient que la pensée est dysfonctionnelle. Nous voyons donc que des terroristes qui infligent des souffrances à des innocents, tuent des milliers de personnes, se font exploser – comment se fait-il qu’ils ne puissent pas voir ce qu’ils font ?
Il ne peut pas voir parce qu'il a réduit les autres êtres humains autour de lui à un concept mental. Il met une étiquette mentale sur d'autres êtres humains ou groupes d'humains ou peu importe comment il les appelle --- infidèles, méchants. Une fois que vous avez conceptualisé un autre être humain, dissimulant sa vitalité essentielle, vous le faites également à vous-même. Vous vous identifiez à vos propres conceptions de qui vous êtes, parce que vous avez raison, vous êtes le croyant, vous êtes en possession de la vérité. Vous pouvez alors infliger des actes de violence à d'autres humains sans plus ressentir car vous vous êtes déjà désensibilisé, vous avez endormi leur vitalité. La violence devient donc très facile lorsqu’on opère uniquement à partir du niveau de la pensée. Pensée plus émotion très destructrice qui accompagne ces schémas de pensée destructeurs. C'est ce qui motive le terroriste. En vérité, comme Jésus le dit sur la croix, "ils ne savent pas ce qu'ils font".
Sur le plan spirituel, ils sont complètement inconscients. Inconscient signifie totalement identifié à la pensée. Vous réduisez la réalité à une réalité conceptuelle. Beaucoup de violence surgit de cette façon.
Les terroristes ne sont pas les seuls à être inconscients. Les États-Unis fabriquent une quantité énorme d’armes totalement insensées. Biologique, chimique. Ils fabriquent les armes les plus diaboliques – s’ils les utilisaient un jour, ce serait l’enfer sur terre. Pourquoi travaillent-ils là-dessus ? Ce sont des scientifiques intelligents, il y en a des milliers, le gouvernement les parraine lui-même. Quel est l’intérêt de créer de telles armes si leur utilisation risque de créer l’enfer sur terre ? N'ont-ils pas déjà assez d'armes ? Cela s'applique donc ; "Ils ne savent pas ce qu'ils font." Vous pouvez voir l’inconscience humaine sous de nombreuses formes. Cela se voit très clairement chez les terroristes. Parfois, il est plus facile de voir la folie chez les autres, mais nous devons aussi la voir en nous-mêmes.
JM : Comment fait-on ça ? Comment faites-vous?
ET : Eh bien, cela doit avant tout être fait au niveau personnel. Par exemple, pour moi, voir à quel point je m'identifie à ma propre position mentale lorsque je parle à quelqu'un lorsque j'exprime une idée ou une opinion et que cette opinion est remise en question par l'autre personne. Ils pourraient dire : « Non, vous avez tort, ce n’est pas comme ça. » Si je peux alors observer la violence avec laquelle je défends ma position, je deviens en fait plus conscient car en l'observant, quelque chose d'autre surgit qui n'est pas une pensée conditionnée, mais une conscience.
JM : Au lieu de dire : « Non, vous avez tort ».
ET : Oui, parce que lorsque les gens s'engagent à avoir raison, à défendre leur position mentale, une énorme quantité d’attitude défensive et de violence est déjà là. Pourquoi deux personnes deviennent-elles si agitées, parfois même violentes, alors qu'elles défendent une position mentale ? Parce que c’est de cela qu’ils tirent leur impression d’un pseudo Soi. La pensée est devenue un Soi investi. C’est l’essence même du dysfonctionnement : les humains tirent ce pseudo Soi, leur identité de la pensée. C’est une illusion, car ce qu’ils sont est bien plus profond que la pensée. Ils ne peuvent s’en rendre compte que lorsqu’ils se détachent de leur processus de pensée et observent ces pensées.
Qui ou quoi est capable d’observer que vous êtes identifié à une position mentale ? Qui ou quoi en vous est capable de remarquer la violence émotionnelle qui survient lorsque vous commencez à défendre votre propre position ? Vous pouvez alors demander : « Waouh, que se passe-t-il ? Qu'est-ce que je défends ? Vous défendez un sens illusoire de vous-même : votre impression d’un Soi et votre structure mentale.
Ce dysfonctionnement même, qui semble relativement inoffensif à petite échelle, est exactement le même dysfonctionnement qui anime le terroriste. C'est donc seulement en vous que vous pouvez le détecter. Et si vous le voyez, vous voyez la racine du dysfonctionnement et de la folie humaine ; identification à la pensée. Mais dès que vous le voyez, vous avec déjà un pied en dehors. Le voir ne fait pas partie du dysfonctionnement. En d’autres termes, lorsque vous voyez que vous êtes fou, vous ne l’êtes plus.
C'est l'apparition de quelque chose de nouveau dans l'humanité. Je l'appelle parfois la conscience inconditionnée. Mais c’est aussi un champ de calme, où l’on voit les racines déchirées de l’esprit humain. Une fois qu’il émerge, c’est un processus qui ne peut être inversé. Elle émerge de plus en plus pleinement et vous vous identifiez de moins en moins à la structure de la pensée. Et puis la pensée n’est plus dysfonctionnelle. C'est vraiment magnifique. Elle peut être utilisée à des fins utiles. C'est merveilleux : vous ne cherchez plus une identité dans la structure de la pensée parce que maintenant vous savez que qui vous êtes est plus profond. Vous êtes la conscience même qui précède la pensée. Vous êtes le calme qui est plus profond que la pensée, bien plus vaste que la pensée. Nous appelons cela «calme » mais ce n'est qu'un mot. Nous l'avons réduit à quelque chose. C'est plus que ça. C'est la conscience du Soi, elle-même, inconditionnée. C’est l’essence de chaque être humain. C'est ça lorsque vous rencontrez quelqu'un dans un état d'attention, d’ouverture et de pleine conscience, sans l'étiqueter mentalement ni le juger, vous opérez alors comme un courant de conscience ou une présence attentive entre les êtres humains.
Cela changerait radicalement les relations humaines. Lorsque la présence consciente s’opère entre les êtres humains, ceux-ci ne sont plus dominés par les structures mentales. Au niveau le plus profond, c’est aussi l’amour. C’est la seule dimension d’où l’amour peut venir dans ce monde.
Interview par Josh Max
Josh Max est écrivain et musicien à New York. Cette interview a été réalisée le 18 octobre 2003 à l'Omega Institute de Rhinebeck, New York. Josh Max est un journaliste dont les articles sur les voitures, les motos, les voyages et les aventures à la première personne ont été fréquemment publiés dans le New York Times, Newsweek, le NY Daily News et d'autres publications. Il est également musicien, chanteur et auteur-compositeur.
Traduit de l'anglais par meditationfrance
Interview en anglais : https://tolleteachings.com/eckhart-tolle-interview-part-3-terrorism.html