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Il y a une force mondiale qui s'éveille

Hubert Reeves

Dans "La terre vue du cœur", sorti en mai 2018, Hubert Reeves offrait un émouvant plaidoyer pour notre planète. Le célèbre astrophysicien franco-canadien, la tête dans les étoiles et les pieds sur terre, était de passage à Quiberon (Morbihan). Il a pris le temps de parler du film, de la planète, de Mars ou encore de Trump…

Le film réalisé par Iolande Cadrin-Rossignol repose en grande partie sur votre témoignage. Vous avez souhaité y délivrer un message positif, intentionnellement non moralisateur…

Déjà, sur le titre, "La terre vue du cœur", il y avait des gens qui étaient peu enthousiastes : ils trouvaient que ça faisait un peu kitsch. Mais je l’ai défendu car il est essentiel que l’on observe la situation politique et écologique avec, non seulement un regard « mental », c’est-à-dire de la tête, mais aussi avec un regard affectif, qui mobilise des émotions. Parce que si on veut que les gens deviennent actifs, il ne suffit pas de leur présenter des faits. Il faut qu’ils se sentent impliqués. L’émotion est importante pour déclencher des énergies. Dans les journaux, à la télévision, il n’y a pas un jour qui n’emmène sa nouvelle catastrophe. Mais là, il fallait que ça touche… Plusieurs films ont déjà présenté l’avenir de manière très sombre. Ici, on devait dire : « il y a un avenir possible ».

Bande annonce du film "la terre vue du coeur"


Les alarmes n’ont de cesse de se déclencher tout autour de la terre… Il est encore temps de sauver la maison ?

Il y a un éveil mondial de la conscience écologique, une vraie volonté de faire des choses. Ici et là, on observe des initiatives qui naissent pour contrer la dépression et la détérioration. On voit qu’il y a une force de restauration à l’œuvre sur la planète, qui s’oppose à cette force de détérioration. Cela ne veut pas dire que la partie est gagnée, loin de là… Mais d’apprendre qu’il y a déjà quelque chose qui se fait, c’est très tonique du point de vue psychologique. Les gens sont plus prêts à s’impliquer quand ils savent qu’ils ne sont pas seuls, que ce n’est pas un combat désespéré. Je le pense sincèrement : il y a une force mondiale qui s’éveille. Et c’est l’idée du film.

Mais cela va-t-il assez vite, selon vous ?

Sur notre planète, il y a eu cinq grandes extinctions massives dans le passé. La vie a survécu. Mais la sixième, dont nous sommes la cause, est beaucoup plus rapide que les autres. Le problème, en résumé, revient à se poser cette question : est-ce qu’on peut garder la planète habitable ? Ce n’est pas sûr qu’elle ne deviendra pas inhabitable. Mais l’inverse n’est pas plus certain. Si nous continuons le forage du pétrole et que nous exploitons les réserves restantes jusqu’au bout, cela correspondrait à un réchauffement de la planète de 5 ou 6°C. Et là, la planète ne serait plus habitable… Où en sera-t-on dans 50 ans ? Personne ne le sait. La vie sera sans doute beaucoup plus austère. Nos ressources sont limitées. On voit qu’on vit au-dessus de nos moyens et qu’on n’ira pas beaucoup plus loin que ça. Cela ne veut pas dire que la vie deviendra impossible. Ça pourra être très vivant ou très désespérant. Mais c’est une attitude à prendre. On va faire comme si… Quand les gens ne se disent plus : « ah, c’est foutu », on a déjà une partie de la solution.

La mobilisation progresse aujourd’hui… Mais les premières démarches écologiques ont plus de 150 ans. Cela se passait aux États-Unis, dans les grands parcs. L’action de John Muir a contribué à sauver la vallée de Yosemite et d’autres espaces sauvages. Il y a eu également Rachel Carson, plus tard, encore, le commandant Cousteau… Des gens ont pris la parole, mais pas pour se contenter de déplorer la situation. Pour agir. John Muir est allé à Washington pour demander de faire des lois pour protéger les espèces animales en danger. Rachel Carson a été voir Kennedy après avoir écrit son livre "Silent spring" ("printemps silencieux"). Elle lui a dit : « Si vous continuez à tuer les moustiques, vous allez tuer les oiseaux et le printemps prochain sera silencieux ». Et elle a réussi à le motiver pour lancer les premières lois afin de lutter contre les pesticides.

Un autre président américain a jeté aux orties l’accord de Paris sur le climat… Ce n’est pas un rien désespérant ?

Quand on a appris que le traité international de lutte contre le réchauffement avait été scellé à la COP 21, nous étions contents. Et évidemment déçus quand Trump a rejeté l’accord de Paris. Mais on avait tort. Pourquoi ? Parce qu’il a vraiment réveillé des énergies aux États-Unis. On le voit : les Américains réagissent contre sa décision. Ils sont nombreux à se dire : « On ne va pas se laisser faire par ce personnage ». En Californie, en Nouvelle-Angleterre, même au Texas… Il y a énormément d’initiatives qui naissent. On peut dire que, dans un certain sens, Trump a rendu service à la cause. Et ce n’est pas sûr que cela irait si vite s’il n’avait pas rejeté la COP 21.

Qu’avez-vous pensé de la démission du ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot ?

Nicolas Hulot devait démissionner. S’il était resté, il aurait accrédité la thèse qu’il n’était qu’un alibi pour Macron.

Mais malgré tout, ne vaut-il pas mieux être dedans que dehors pour peser, même un peu ?

C’est ce qu’il a essayé de démontrer. Il a refusé pendant longtemps de se joindre au gouvernement… C’était important qu’il accepte finalement. Mais sa réponse, c’est que ça ne marche pas. Pour ma part, j’ai toujours pensé que si on m’avait proposé d’agir dans un gouvernement, je n’aurais pas été en mesure de faire quoi que ce soit et j’aurais donc refusé. Maintenant, le message de Nicolas Hulot est le suivant : « On continue le combat avec la base, avec ceux qui le portent depuis le début. Pas avec les gouvernements qui ne font que prendre les trains quand cela leur convient ».

Vous avez longtemps eu les yeux levés vers ciel. La reprise de certains programmes spatiaux et les annonces spectaculaires d’Elon Musk enflamment les imaginations. Pensez-vous que l’homme mettra un jour le pied sur Mars ?

Je crois que cela fait partie de l’évolution normale de l’humanité. L’être humain aime le challenge. Il va innover, explorer… L’alpiniste George Mallory, à qui des journalistes demandaient pourquoi il voulait escalader le mont Everest, avait répondu : « Parce qu’il est là ». C’est dans la nature humaine… Oui, on ira sur Mars. Je viens d’apprendre qu’il y a même des projets pour aller sur des exoplanètes… De nouveaux moyens de déplacement sont déjà en projet, en préparation, même si, aujourd’hui, pour y aller, avec notre vitesse, cela prendrait 60 000 ans. Tout cela avance vite, très vite…

Gwen Rastoll - Source