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Quelle spiritualité pour le 21ème siècle?
Intervenants :
André Comte-Sponville - Ecrivain - Philosophe
Roland Rech Moine Zen - Ecrivain paix
Question
Le XXI siècle sera t-il religieux ou ne sera pas, selon
cette phrase attribuée à André Malraux,
qu'en sera t-il selon vous ?
R.A Comte-Sponville
Comme vous le dites, elle est attribuée à Malraux.
Tout le donne à penser, ne sommes nous pas dans le
XXI siècle, mais avons nous le sentiment qu'il soit
vraiment religieux. Je n'en suis pas sûr. Ce que je
crois pour ma part, c'est que le XXI siècle sera spirituel.Je
crois qu'un des enjeux et une des nouveautés de ce
siècle qui commence, c'est justement que les deux questions
de la religion d'une part, au sens occidental du terme "
la croyance en Dieu " et la spiritualité d'autre
part, c'est à dire une certaine façon "
d'habiter le monde, sa propre vie, l'univers, le temps qui
passe, l'éternité, l'idée d'affronter
sa propre mort, la finitude ", ces deux questions sont
disjointes.On a cru pendant longtemps en occident, parce que
la spiritualité a été chrétienne
pendant vingt siècles, que ces deux mots, spiritualité
et religion, étaient synonymes et dès lors que
ceux qui n'avaient pas de religion, devaient renoncer à
toute vie spirituelle. Je crois que ce que ce siècle
va vivre, c'est la réfutation de cette idée
fausse. Bien sûr, ceux qui ont une foi religieuse vivront
leur spiritualité dans la foi, mais ceux qui ne croient
pas en Dieu, vivront un autre type de spiritualité
sans Dieu
une spiritualité laïque.
Question
On assiste à une prolifération des sectes, des
gourous, de mouvements de toutes tendances spirituelles, aussi
comment expliquer ce phénomène, cela correspond
t-il à cette mouvance, à cette mutation ?
R.Roland Rech
Je crois effectivement qu'à notre époque, nous
avons besoin d'une spiritualité qui ne soit pas fondée
simplement sur la soumission et l'autorité de certaines
croyances, de certains dogmes, de certaines institutions religieuses,
mais d'une spiritualité qui soit véritablement
fondée sur notre expérience intérieure,
de notre vie, de notre confrontation avec les grandes questions
existentielles, et en même temps qui nous donne confiance
que nous pouvons résoudre par nous-mêmes, par
la pratique de la méditation, par la pratique de notre
action au niveau quotidien, les grandes questions du sens
de la vie, de la souffrance, les questions aussi de retrouver
ce que l'étimologie même du mot religion implique,
c'est à dire une unité intérieure avec
les autres et avec le monde.
Question
Le bouddhisme s'inscrit-il complètement dans cette
idée ?
R.A.Comte-Sponville
Oui et c'est pourquoi je crois qu'il est en phase avec la
spiritualité de notre époque, celle que cherchent
nos contemporains, c'est à dire une spiritualité
sans dogmes. Je crois que nos contemporains n'ont plus envie
de croire en des vérités toutes faites.C'est
en effet une spiritualité de l'expérience, d'un
changement intérieur.Les gens veulent expérimenter
quelque chose. Or, c'est vrai que le bouddhisme, finalement,
c'est une spiritualité non dogmatique. C'est une spiritualité
à la fois de l'intérieur mais aussi corporelle,
c'est pourquoi il est en phase avec notre époque. Ce
qu'on apprend quand on fait le détour par l'orient
bouddhiste mais qu'on apprend également quand on fait
un retour dans le passé, vers les sagesses grecques,
c'est qu'il y a des spiritualités qui ne sont pas des
spiritualités de la croyance en un Dieu, qui ne sont
pas des spiritualités de la transcendance, comme diraient
les philosophes mais qui sont des spiritualités de
l'immanence, de l'expérimentation personnelle, une
certaine façon d'habiter son propre corps, sa propre
vie, d'habiter le présent.
Question
Vous m'avez dit que les problèmes de la société
sont de trois ordres, ce que vient de dire André Comte-Sponville
permet-il de répondre à ces trois points ?
R. Roland Rech
Je crois que dans notre monde actuel, beaucoup de souffrances
sont liées à ce qu'on appelle dans le bouddhisme
les trois poisons, que sont l'avidité, la haine et
tout ce qui est de l'ordre de l'agrèssivité,
la violence , et l'ignorance. De ce point de vue, l'enseignement
du Bouddha est extrèmement moderne.Il y a un enseignement
que le Bouddha avait donné aux Kalamas.. des gens qui
recevaient énormément car ils étaient
situés à un carrefour de plusieurs routes. Il
y avaient de très nombreux Maîtres spirituels
qui passaient. C'était déjà une espèce
de super-marché de la spiritualité car chacun
vantait les mérites de sa doctrine, aussi, ces braves
Kalamas ne savaient plus à quels saints se vouer.Le
Bouddha ne leur a pas prêché sa doctrine mais
leur a dit " réfléchissez lorsque vous
allez agir, si vous vous sentez animés par la haine,
par l'hostilité, pensez-vous que ce qu'il va résulter
de votre action va apporter du bonheur, ou est-ce que cela
va plutôt créer du trouble, apporter de la souffrance
pour vous-même et pour les autres
réfléchissez,
et si vous pensez que cela va donner de la souffrance, alors
abstenez vous d'agir ".C'est la même chose pour
l'avidité reprit-il
si vous vous sentez pris
au moment d'agir par une motivation d'avidité, d'égoisme,
de possession, est-ce que vous augurez que cela va apporter
du bonheur pour vous ou pour les autres, ou pas ? donc, ayez
confiance dans votre capacité de créer votre
propre sagesse, en apprenant à vous connaître
vous-même. C'est cela le message du Bouddhisme.Je crois
que c'est pour cela que dans une période où
beaucoup de gens sont déboussolés, où
toutes les grandes idéologies pourvoyeuses de sens
ont été crtiquées, remises en question,
il y a le besoin de ce retour intérieur par une pratique
de méditation, à ce qui peut être notre
boussole en nous-même, ce que A.Compte-Sponville appelle
l'immanence : découvrir en soi ce qui fait sens et
avoir confiance, qu'il y a accès possible à
du sens, notamment à travers le critère de "
est ce que je vais apporter par ma pensée, mon action,
mes paroles, du bien-être, du bonheur, de la liberté,
de la libération ? ou à l'inverse, du malheur,
de la souffrance, de l'aliénation.
Question
En ce moment, on parle de plus en plus d'éthique. Est-ce
qu'éthique et spiritualité vont ensemble ?
R.A.Comte-Sponville
Non, je crois que c'est diffèrent, et que ce qui est
en jeu aujourd'hui, c'est davantage la spiritualité.
En cette fin du XX siècle et début du XXI siècle,
ce n'est plus la question politique, le juste et l'injuste
qui se pose au premier chef, ce n'est plus la question morale,
le bien et le mal, c'est plutôt la question spirituelle,
la question du sens en effet, ou bien cette question toute
simple : " la vie vaut-elle la peine d'être vécue
" ? et bien à cette question, la politique ne
répond pas, la morale ne répond pas. Mais attention,
il ne faut pas tomber dans l'illusion inverse, de croire que
la spiritualité va résoudre toutes les questions,
comme on a cru avant que la politique allait tout résoudre
ou après que la morale allait tout résoudre.La
spiritualité ne tient pas lieu de politique, donc il
faut continuer à se battre pour la justice, la spiritualité
ne tient pas lieu de morale, la question du bien et du mal
a encore sa pertinence, mais inversement, la politique ou
la morale ne tient pas lieu de spiritualité.Je crois
que ce qui est le plus nouveau aujourd'hui, notamment dans
la jeunesse de notre pays, c'est la religitimation de la question
proprement spirituelle.
Roland Rech
Oui, je suis tout à fait d'accord avec ce que dit A.
Comte Sponville. J'aurais envie de prolonger en disant que
dans spiritualité, il y a esprit, et ce que nous faisons,
la manière dont nous vivons, le monde que nous créons
à travers notre manière d'être, est le
reflet de notre état d'esprit et il est extrêmement
important d'être capable d'observer son esprit, de voir
dans quel esprit on agit, de comprendre que les problèmes
de violence, ce n'est pas les autres, c'est en nous-mêmes
que cela existe, par le fait que nous sommes souvent trop
avides, identifiés à un petit ego qui donc voyant
l'autre comme menaçant, devient alors agressif dès
qu'il se sent frustré, contrarié, intolérant
etc
Notre esprit aussi c'est ce qui nous fait également
consommer, or si nous ne sommes pas en contact avec une spiritualité
profonde, qui donne sens à la vie, et bien nous avons
tendance notamment à chercher des compensations, parce
que nous ne sommes pas heureux.On va chercher des compensations
dans la consommation, cela va alimenter notre avidité
et aura des répercussions sur la vie sociale, la vie
économique, l'accroissement des inégalités,
des gens qui s'enrichissent de plus en plus et d'autres qui
deviennent misérables.La spiritualité, cela
veut dire que nous sommes responsables de tout cela, car le
monde est le reflet de notre esprit. Chacun a un pouvoir dans
ce monde. Ce pouvoir n'est pas confisqué par les politiques,
il n'est pas confisqué par les faiseurs de morale.
C'est un pouvoir qui réside en l'esprit de chacun puisque
c'est à partir de l'esprit de chacun que le monde est
ce qu'il est.
Question
Le phénomène de la mondialisation va t-il avoir
un impact sur ces nouvelles spiritualités ?
R. A.Comte-Sponville
Je crois que la mondialisation c'est une opportunité
parce que c'est plus d'ouverture,
de liberté, de choix, d'échanges mais c'est
aussi un danger de la superficialité. Le danger de
confondre la vie spirituelle avec une forme sophistiquée
de zapping télévisuel ou culturel, mais en essayant
malgré tout de ne pas oublier que, qui dit vie spirituelle,
dit travail sur soi, dit réflexion, dit connaissance,
donc, il faut aussi prendre le temps de se confronter aux
Maîtres. Très bien si l'on est intéressé
par le bouddhisme, à condition de le faire sérieusement,
prendre le temps de lire les textes et de réflechir.
Il ne faut pas oublier non plus ce qu'il y a de grand dans
la tradition judéo-chrétienne, des trésors
de sagesse et des trésors de spiritualité.
Question
En conclusion, le constat est-il positif en ce début
de nouveau millénaire ?
R.A Comte-Sponville
Ce que je crains encore une fois, c'est que dans ce retour
à la spiritualité, on oublie la morale, on oublie
la politique. N'attendons pas pour faire un monde plus juste
que tous les individus soient justes, autrement dit, il n'y
aura jamais assez de sociétés de sages si vous
voulez, si bien que la politique cela sert à agir dans
l'urgence pour combattre l'horreur, pour combattre l'injustice.
Cela ne dispense pas de devenir plus juste soi-même,
plus serein, plus doux, cela ne dispense pas de spiritualité,
mais n'attendons pas de devenir des Maîtres spirituels
pour nous battre " ici et maintenant " pour la justice,
autrement dit la politique ne tient pas lieu de spiritualité,
c'est vrai et c'est tant mieux si on le revendique aujourd'hui,
c'est l'aspect positif, mais attention de ne pas retomber
dans l'erreur inverse et de croire que la spiritualité
tiendra lieu de politique. Le XXI siècle sera t-il
spirituel, moral et politique, ou ne le sera pas.
R.Roland Rech
Je pense aussi que le XXI siècle sera spirituel à
condition que les êtres se donnent les moyens d'une
véritable spiritualité et que la spiritualité
ne soit pas reprise par un système de consommation.
La spiritualité c'est une expérience que l'on
a à vivre qui est fondamentale, qui ne dispense pas
de l'action sociale et de l'action politique mais est à
la base de toute activité humaine si l'on veut que
ces activités humaines ne soient pas perverties. Je
crois que la grande catastrophe du siècle qui vient
de s'écouler, c'est que tous les grands idéaux,
de justice, de libération ont été trahis
par des politiques qui n'étaient pas libérés
du goût du pouvoir, ni de l'avidité, et qui ont
perverti ainsi tous ces plus grands idéaux humains.Le
vu que je fais en ce début de XXI siècle,
c'est que l'aspiration des êtres humains au bonheur
ne soit pas trahie par le manque de spiritualité.
FIN
Emission du 2 Janvier 2000 empruntée à www.bouddhisme-france.org