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Pour une nouvelle régulation de la mondialisation
Par Charles-Albert Michalet
La mondialisation est, depuis une année, bruyamment contestée.
Les boucs émissaires de " l'horreur économique
" se sont multipliés. Après I'OCDE et le
projet de l'AMI, I'OMC contre laquelle les anti-mondialistes
ont manifesté avec force à Seattle, puis la
chaîne MacDonald, l'une des incarnations de la trinité
culturelle américaine avec Coca Cola et Disney, enfin
,le FMI et la Banque Mondiale lors du remake moins réussi
de Seattle, à Washington à l'occasion de leur
assemblée générale.
L'argumentation des anti-mondialistes est confuse. D'un coté,
s'exprime une opposition au libéralisme économique
ambiant tenu pour responsable de la croissance des inégalités
sociales, du chômage, de l'exclusion ; un refus de la
marchandisation de la société une dénonciation
de la spéculation financière et de l'enrichissement
éhonté de certains ; une levée de bouclier
contre l'impérialisme américain... De l'autre,
une anxiété en face du déclin des souverainetés
nationales, du ~< modèle fordiste " des "trente
glorieuses ", de l'Etat-Providence, du keynésianisme
et du socialisme au profit de la primauté de la loi
d'airain du marché et de l'intensification de la concurrence.
Au fond, la critique de la mondialisation repose sur un paradoxe
elle est à la fois rejet du capitalisme et crainte
de le voir se transformer. Il y aurait donc, d'une part, un
bon capitalisme, celui de l'Etat Providence, de l'économie
mixte, de l'interventionnisme, celui des décennies
de l'après guerre pour faire court et, de l'autre,
un mauvais capitalisme celui du marché, de la privatisation,
de la concurrence, des grandes firmes multinationales, de
l'inégalité sociale, et de l'aggravation des
écarts entre pays riches et pays pauvres, enfin et
surtout, de l'accélération de la mondialisation
du modèle américain.
Certains nostalgiques du " socialisme dans un seul pays " sont devenus les défenseurs du "capitalisme dans un seul pays "
Ils ont tort dans les deux cas, mais il reste
que leur désarroi repose sur un constat bien réel
la remise en cause de la régulation économique
conçue à la conférence de Bretton Woods
par le "consensus de Washington > et l'effacement
concomitant du concept de l'Etat-nation issu du siècle
des Lumières. En conséquence, la dynamique de
la mondialisation semble être désormais incontrôlée
et incontrôlable par suite de l'effacement des souverainetés
nationales. La recherche des bases d'une nouvelle régulation
est devenue àl'ordre du jour. Pour tenter d'explorer
cette voie, nous développerons notre analyse selon
le syllogisme suivant la régulation a été
conçue sur la base de l'Etat-nation (qu'il s'agisse
de la régulation macroéconomique nationale ou
de la régulation du système inter-national)
or le concept d'Etat-nation a perdu sa pertinence donc la
conception traditionnelle de la régulation est en crise.
Cette démarche se traduira par les trois parties suivantes
- Régulation, Etat-nation et mondialisation
- Globalisation et crise de l'Etat-nation
- En quête de nouveaux fondements pour une re-régulation
1. Régulation, Etat-nation et mondialisation
La problématique de la nouvelle régulation de la mondialisation ne peut pas être développée correctement sans faire le détour par la définition d'un certain nombre de concepts.
Les concepts de régulation et d'Etat-nation sont indissociables
L'utilisation de plus en plus répandue du " franglais > (une autre manifestation de la mondialisation 1) a introduit une ambiguïté sémantique dans l'emploi du mot régulation. D'une part, dans son acception anglaise, regulation signifie réglementation. D'autre part, dans l'acceptation de l'école française de la régulation, le mot désigne un régime particulier d'accumulation du capital c'est ainsi, que les "trente glorieuses " ont pu être caractérisées par une " régulation fordiste ".
Néanmoins, la dualité de signification
du concept de régulation n'est pas seulement sémantique.
Elle renvoie aussi aux deux composantes qui permettent de
définir le concept d'Etat-nation. Issu de la philosophie
politique des Lumières, le concept d'Etat-nation comporte
deux volets complémentaires. D'une part, celui de I'Etat
qui trouve sa légitimité dans la notion d'Etat
de droit qui, sur le socle commun des Déclarations
des droits de l'Homme de i 776 et de i 789, repose sur les
trois pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires.
Leur autorité est circonscrite au territoire national.
Celui-ci est délimité par des frontières
politiques reconnues par la communauté internationale
à l'intérieur desquelles vit un peuple qui utilise
la même langue et partage a même culture. Pour
les économistes, l'Etat-nation a été
réduit à un espace clos de facteurs de production.
C'est dans ce cadre spatial que fonctionne la régulation
macroéconomique, sur la base d'un compromis social,
d'une monnaie commune, d'une composition de la demande validant
les capacités de production et d'un système
commun de valeurs ou de représentations.
La dynamique de la mondialisation menace de plus en plus l'unité
de ce bel édifice à deux étages. Encore
faut-il définir clairement ce qu'est la mondialisation.
Les trois configurations de la mondialisation
La mondialisation est un phénomène
complexe que les économistes s'acharnent à aplatir
en le divisant en tranches spécifiques du savoir. La
mondialisation comporte au moins trois dimensions qui sont
étroitement interdépendantes celle de la mobilité
des biens, celle de la mobilité des activités
de production, enfin, celle de la mobilité des capitaux
financiers. Depuis que l'économie est sortie des formes
pré-capitalistes, ces trois dimensions ont constamment
coexisté mais leur importance relative a varié
dans le temps. Durant une très longue période
allant de " l'économie monde " des ~ 4ême
et 1 5ême siècle, décrite par F. Braudel
jusqu'aux années soixante, la dimension des échanges
commerciaux a été prédominante (avec
peut être une parenthèse entre les années
i 885 et 1 914 concernant la mobilité des capitaux).
Cette prédominance de la mobilité des biens
permet de caractériser une configuration spécifique
de la mondialisation, celle de l'économie inter-nationale.
A partir des années 60, émerge une nouvelle
configuration, celle de l'économie multi-nationale.
Les flux d'investissements directs à l'étranger
et les opérations de délocalisation de la production
se développent à un taux de croissance plus
rapide que celui des échanges commerciaux, Les acteurs
principaux de l'économie mondiale deviennent les groupes
multinationaux industriels et financiers. Aujourd'hui, nous
sommes entrés, depuis le milieu des années 80,
dans la configuration de la globalisation qui est caractérisée
par la croissance plus forte et la rentabilité supérieure
des activités portant sur les mouvements de capitaux
financiers.
La dynamique de la mondialisation repose sur plusieurs facteurs.
D'abord, sur les effets de synergie tenant à la mobilité
conjointe des biens, des capacités de production et
des capitaux financiers. Cette mobilisation est la clé
de la compétitivité des firmes et des nations.
Elle concerne encore marginalement le facteur travail, mais
cette situation évolue avec la mobilité croissante
du personnel très qualifié et la poussée
des migrations clandestines. Ensuite, elle a été
considérablement facilitée durant les deux dernières
décennies par les progrès extrêmement
rapides des techniques de la communication et de l'information.
Mais contrairement a une idée largement répandue,
celles-ci ne sont pas l'origine de la mondialisation elles
n'en constituent que le support et, par là, ont incontestablement
favorisé son accélération. Par sa logique
même, en introduisant de nouveaux acteurs, la mondialisation
remet radicalement en cause la cohérence d'une architecture
fondée sur les Etats-nation.
2. Globalisation et crise de l'Etat-nation
La globalisation a déclenché une crise du concept d'Etat-nation. D'une part, en renversant le paradigme né de la conférence de Bretton Woods et, d'autre part, en substituant à une régulation inter-étatique de la mondialisation une régulation privée de caractère oligopolistique.
Du système de Bretton Woods au consensus
de Washington ou le triomphe de la déréglementation
Le passage du consensus de Bretton Woods, à celui de
Washington marque la fin de la période de la régulation
inter-étatique de la mondialisation. Le changement
de paradigme s'est opéré en faveur d'une nouvelle
conception de la régulation de la mondialisation, en
rupture avec celle qui avait fonctionné pendant près
de quarante ans. Elle est néolibérale elle vise
à enterrer les idées keynésiennes et,
avec elles, un régime de régulation placé
sous le contrôle des Etats-nations et fondé sur
un encadrement public des activités économiques,
aussi bien au niveau des territoires nationaux qu'à
celui de l'économie mondiale. De ce point de vue, le
démantèlement de la régulation de l'économie
mondiale conçue à Bretton Woods repose principalement
sur une déréglementation systématique.
Elle peut être observée aux trois niveaux de
la mondialisation.
La déréglementation de la dimension des échanges
La régulation des échanges internationaux
issue de Bretton Woods s'accommodait d'une bonne dose de protectionnisme.
Bien que les vertus du libre-échange fussent proclamées
haut et fort et qu'une organisation, le GATT, fut chargée
à partir de i ~ à travers des " rounds
" successifs d'obtenir des Etats la réduction
des tarifs douaniers. Les progrès accomplis, indéniables,
auront cependant pris beaucoup de temps jusqu'à l'accord
de Marrakech qui, en i 994, aboutit à créer
I'OMC, l'organisation Mondiale du Commerce. Cette lenteur
s'explique par l'attitude réticente des Etats. Ceux
du tiers monde ne sont pas, pour la majorité d'entre
eux, convaincus par le message ricardien. Ils opposent aux
bienfaits attendus du libre échange et de la spécialisation,
la détérioration constante des termes de l'échange.
Pour eux, les échanges entre le Nord et le Sud sont
par nature inégaux ; F. List demeure populaire et la
protection des industries naissantes est au coeur des modèles
de développement. Les gouvernements des économies
du Nord sont moins ouvertement hostiles à un abaissement
des tarifs douaniers, mais ils entendent le faire progressivement
dans le cadre de la réciprocité, ce qui est
contraire à l'esprit multilatéraliste du libre
échange qui implique un désarmement douanier
unilatéral. En outre, les réduction de tarifs
ont été compensées par des barrières
non-tarifaires pour les produits "stratégiques
", ceux dont le manque de compétitivité
exigerait qu'ils soient laissés à d'autres économies.
Enfin, au nom précisément du renforcement de
la compétitivité, durant les années soixante
et soixante dix, les grandes puissances économiques
du Nord, comme celles qui émergent, en Asie (impressionnées
par le modèle japonais), retrouvent les vieux préceptes
mercantilistes - maximiser les exportations, minimiser les
importations -sous d'autres vocables.
La prépondérance du consensus de Washington,
à partir des années 80, conteste radicalement
la régulation inter-étatique de la mondialisation
en prêchant la déréglementation des échanges
commerciaux. Ce changement est largement inspiré par
le dogme néo-libéral, mais il résulte
aussi de l'interférence sur la dimension des échanges
des deux autres dimensions de la mondialisation. D'une part,
au niveau de la dimension financière, la question lancinante
du service de la dette a conduit les institutions de Washington
à recommander aux pays emprunteurs l'abandon des modèles
protectionnistes pour favoriser la croissance des exportations
sur la base des avantages comparatifs " révélés
" par l'ouverture des économies. D'autre part,
au niveau de la dimension multi-nationale, la multiplication
des zones franches industrielles d'exportation a favorisé
l'extra-territorialité et la renonciation des Etats
à exercer leur souveraineté sur certaines zones
de leur territoire. En outre, l'importance croissante de la
part des flux intra-firmes dans les échanges internationaux
(plus de 40% du total) du fait de la délocalisation
de la production, modifie la nature du commerce international.
Il est de plus en plus hors marché il est de plus en
plus constitué par des flux intra-branches de produits
intermédiaires. Selon la logique ancienne de la spécialisation
fondée sur les Etats-nations, les échanges sont
intersectoriels et les avantages comparatifs définis
ex ante. Sous l'effet de la mobilité accentuée
des investissements directs ceux-ci sont de plus en plus souvent
déterminés ex-post. Au total, il apparaît
clairement que les Etats nations ne sont plus au coeur de
la division internationale du travail.
La déréglementation de la dimension multi-nationale
Dans la plupart des cas, durant les années
60 et 70, le déterminant majeur des firmes qui investissaient
à l'étranger était constitué par
l'existence des barrières protectionnistes dont il
vient d'être question qui obligeaient à substituer
la production sur place aux exportations. Cependant, avant
de pouvoir démarrer une activité locale, les
investisseurs étrangers devaient obtenir l'agrément
des autorités locales. Cet agrément était
obtenu à la suite d'une longue procédure bureaucratique.
En outre, les codes des investissements étrangers posaient
des conditions restrictives à l'implantation des filiales
des multinationales détention limitée du capital
social, liste sélective des activités autorisées
ou non. Les investisseurs devaient aussi accepter des "
contraintes de performances " (les " TRIMs "selon
la terminologie du GATT). Ce dispositif manifestait la volonté
de contrôle des Etats sur leur économie, au nom
de la sauvegarde de la souveraineté nationale. Ce souci,
était plus marqué dans les pays nouvellement
indépendants et, plus généralement dans
les pays du Sud que dans les pays de I'OCDE, mais il n'y était
pas absent. La France a maintenu jusqu'à la fin des
années 80 une commission des investissements étrangers
dont le Trésor assurait le secrétariat il est
toujours difficile d'investir au Japon.
A partir du milieu des années 80, les codes ont été
libéralisés et les entraves aux investissements
directs ont été supprimées en grande
partie. La plupart des dispositions contenues dans l'AMI (l'Accord
Multilatéral sur les Investissements), qui avait été
proposé par I'OCDE puis retiré devant la levée
de bouclier des anti-mondialistes, étaient déjà
et sont toujours opérationnelles, en application, entre
autre, des traités bi-latéraux sur les investissements.
Il est vrai que, dorénavant, tous les pays, sans exception,
cherchent à attirer les implantations étrangères
pour créer de l'emploi, pour augmenter les exportations,
pour avoir accès aux nouvelles technologies et aux
nouvelles formes de management. L'attractivité est
devenue un objectif de politique industrielle aussi important
que celui de la compétitivité. Désormais,
les gouvernements sont convaincus que ce qui est bon pour
General-Motors n'est pas seulement bon pour les Etats-Unis,
selon la formule consacrée des années 50, mais
l'est aussi, plus peut être, pour la France, le Japon,
l'Allemagne, le Mexique, en bref, pour tous les pays dans
lesquels G-M est implanté.
Le changement d'attitude des Etats vis-à-vis
des firmes étrangères s'est accompagné
d'une mutation dans la stratégie et l'organisation
des multinationales l'une et l'autre sont devenue globales.
Ce qui explique la poussée, déjà évoquée,
de l'importance relative des flux intra-firmes. Les administrations
vont de plus en plus avoir pour tâche de faciliter les
investissements privés. La fonction principale des
Etats sera de veiller au maintien des différentes facettes
du " diamant de l'attractivité " des pays-hôtes.
La déréglementation de la dimension financière
La globalisation financière marque l'apogée de la déréglementation. Elle se situe dans le prolongement de l'abandon du " gold exchange standard " à la suite de la décision unilatérale du Président Nixon en Août 1971.
Le système des taux de change fixe défini à Bretton Woods illustrait àla perfection la logique d'une régulation inter-étatique de la mondialisation. Il était géré conjointement par le FMI, organisme multilatéral administré par les représentants de pays-membres, et par les banques centrales de ces derniers, dont l'indépendance par rapport aux Ministères des Finances n'était pas assurée. Par opposition, le régime des taux de change flottants qui s'accompagne de l'allégement ou de la suppression du contrôle des changes va ouvrir des opportunités nouvelles pour la finance internationale privée. Les degrés de liberté offerts par la déréglementation des activités bancaires et financières n'ont pas manqué d'être saisis, dès le début des années 80, par des opérateurs à la recherche de nouveaux remplois à la suite de la crise de l'endettement. Initiée symboliquement par le " big bang " de la City, la " deregulation " s'amplifie avec le lancement de nouveaux produits financiers (la " titrisation "), avec la liberté de circulation des capitaux, avec l'abolition des statuts différenciés des banques, avec le décloisonnement des marchés monétaires et financiers, avec la désintermédiation financière, avec le succès des "junk bonds " etc.
Elle a eu des effets en retour sur la dimension multi-nationale en facilitant la " merger mania " et la multiplication des opérations d'acquisitions-fusions transfrontières. En outre, elle a conduit à une exacerbation de la spéculation financière sur les marchés des changes, dont la croissance est devenue sans rapport avec les besoins des échanges commerciaux, ainsi que sur les marchés des titres. L'apparition des " bulles financières " et des crises financières à répétition a provoqué le " retour du père ". Devant le risque d'une crise systémique, les banques centrales, le FMI, la Banque Mondiale, la BRI.. avec la Fed comme chef de file, ont du jouer le rôle de prêteurs en dernier ressort pour se précipiter au secours des " golden boys " et des " hedge funds " en difficulté. Ils avaient été remisés un peu vite au magasin des accessoires, ce qui montre avec plus d'acuité que dans le cas des autre dimensions de la mondialisation mais pour les mêmes raisons, que la nécessité d'une re-régulation apparaît comme inévitable.
3. En quête de nouveaux fondement pour une re-réciulation
Une fois acceptée l'idée du caractère
irréversible de la mondialisation car elle est indissociable
de la dynamique propre du capitalisme, la question de sa régulation
se pose. En effet, c'est faire une hypothèse héroïque
que d'assumer que du processus de la déréglementation
surgira, toute armée, une nouvelle régulation
du système, celle des marchés. Le besoin d'une
autre régulation de la mondialisation s'exprime aujourd'hui
par la formulation de voeux pieux pour le futur ou par la
nostalgie d'un retour impossible au passé. Pour tenter
modestement d'avancer vers des solutions concrètes,
il est peut être de bonne méthode de partir du
constat de la non-pertinence du concept d'Etat-nation dans
ces deux composantes celle d'un appareil d'Etat fondé
sur la souveraineté nationale et celle d'un territoire
défini par des frontières politiques. Elle pourrait
déboucher sur de nouvelles configurations spatiales
allant au delà des territoires nationaux et au-delà
des Etats nationaux.
La métaphore des marchés
La dynamique néolibérale de la mondialisation
a d'abord eu pour effet incontestable de réduire considérablement
l'influence des contre-pouvoirs traditionnels - Etats et syndicats.
Les processus de déréglementation, de privatisation,
de flexibilité de la production, d'ouverture des frontières
et de régionalisation.., impliquent le recul inéluctable
du pouvoir économique des Etats et des syndicats tel
qu'il s'était construit après la guerre, selon
une conception post-keynésienne qui est devenue incompatible
avec l'accélération de la mondialisation. Du
fait de leur affaiblissement, il ne faut donc pas attendre
des anciens pouvoirs qu'ils puissent devenir les nouveaux
opérateurs d'une re-régulation de l'économie
mondiale. En brisant la grève des mineurs britanniques
au début des années 80, Madame Thatcher a fait
éclater au grand jour le recul du pouvoir syndical,
tandis que les idées néolibérales soutenues
par son équipe puis par celle du Président R.
Reagan ruinaient la légitimité de l'interventionnisme
étatique dans l'économie que la théorie
keynésienne avait fondée. Dès lors, la
réalisation du compromis social " fordiste >
perdait ses points de référence . La mondialisation
entrait dans une phase nouvelle, celle de la globalisation
; la démolition du mur de Berlin en est vraisemblablement
une conséquence mais certainement pas le point de départ
Le champ semble donc libre pour les " nouveaux maîtres
de l'univers ", c'est à dire les grands acteurs
privés multinationaux industriels et/ou financiers.
La déréglementation débouche sur la régulation
oligopolistique privée de la mondialisation à
travers la métaphore des forces des marchés.
La relève des acteurs publics par les acteurs privés
multinationaux constitue le fondement réel de l'opposition
factice entre l'Etat et le marché.
La mondialisation implique toujours le fonctionnement
des marchés, ils n'ont jamais disparus. Mais ce qui
change au cours du temps, c'est précisément
le pouvoir de les réguler, afin d'assurer la reproduction
du système. Une fois encore, si la déréglementation
a permis l'effacement de la régulation inter-étatique
issue de Bretton Woods, il ne s'en suit pas ipso facto, qu'un
régime stable ait été mis à sa
place. Car la régulation néo-libérale
par les marchés est une régulation par des marchés
imparfaits. Or depuis les années trente, la théorie
économique n'a cessé de souligner l'instabilité
de cette forme de marché dont le fonctionnement relève
de la théorie des jeux entre des acteurs stratégiques.
En oubliant cette leçon, il n'est pas étonnant
que la pensée dominante des années 80, effectue
un retour involontaire à la conception du " supra
impérialisme " avancée par Kautsky en 1
914. Encore que celui-ci ait été plus rigoureux,
car l'organisation rationnelle de l'économie mondiale
par les trusts, les konzerns et les cartels, pour reprendre
la terminologie de l'époque, pourrait être définie,
dans celle d'aujourd'hui, par une vaste internalisation du
marché mondial entraînée par le triomphe
de la hiérarchie sur le marché, dans la lignée
des analyses ouvertes par R. Coase et poursuivies par O. Williamson
et d'autres.
Ce que proposent finalement les partisans de la déréglementation,
c'est donc une autorégulation de la mondialisation
par la concurrence oligopolistique. Elle peut être à
l'origine de surprofits rapides pour les acteurs, mais il
n'est pas sûr qu'elle garantisse la reproduction à
long terme du système. En conséquence de l'instabilité
inhérente aux marchés oligopolistiques, les
effets d'une concurrence sans frein pourraient conduire à
des situations insoutenables aggravation des surcapacités
de production àl'échelle mondiale, de caractère
déflationniste ; accentuation des inégalités
sociales à l'intérieur des territoire nationaux
et entre les différentes régions de l'économie
mondiale, qui réduirait les débouchés.
D'où l'opinion encore confuse mais qui se répand
qu'il faudrait trouver autre chose que la régulation
oligopolistique privée, un régime de régulation
original dont les fondements correspondraient à la
logique de la mondialisation. Deux voies, peut être
complémentaires, sont imaginables.
Aller au delà des territoires nationaux
Il est possible d'esquisser deux orientations pour aller au
delà des territoires nationaux. Elles ne sont pas nécessairement
exclusives l'une de l'autre.
La première orientation répond à la nostalgie d'un retour à une régulation orchestrée par des acteurs publics. La récupération de la souveraineté perdue passerait désormais par la constitution d'entités géographiques supranationales qui pourraient être coiffées par des Etats fédéraux. Le regain de faveur pour la régionalisation qui accompagne l'approfondissement de la mondialisation pourrait aller dans ce sens. Mais il faut immédiatement noter que les mouvements d'intégration régionale qui s ébauchent en Amérique du Nord avec I'ALENA, en Europe avec l'élargissement de l'Union européenne, en Asie avec l'institutionnalisation de I'ASEAN ne correspondent plus au modèle proposé pari. Viner au début des années 50 et qui a constitué le fondement de l'élaboration de la dimension économique du traité de Rome. Alors que la condition préalable pour la réussite d'une intégration progressive allant de la zone de libre-échange à l'union économique en passant par l'étape de l'union douanière reposait sur la relative similarité des partenaires, la nouvelle vague de la régionalisation regroupe des économies inégalement développées. Dans ces conditions il est probable que l'étape de la zone de libre-échange, peut être, celle de l'union douanière, seront difficiles à dépasser. Cela suffira aux grandes firmes désireuses de voir s'élargir leur terrain de manoeuvre, ce qui leur permettrait, simultanément, d'augmenter la taille de leurs marchés d'origine et de réduire leurs coûts par des délocalisations vers les zones les moins développées de la région. Cela pourrait aussi permettre la constitution de trois blocs régionaux (Amérique, Asie, Europe) favorisant la coopération. Par là, la nouvelle intégration régionale va dans le sens d'une meilleure régulation au niveau mondial par rapport aux lourdes et lentes procédures multilatérales qui ont eu pour effet de favoriser les accords bilatéraux.
La seconde orientation se traduirait par multiplicité de territoires infranationaux dont transfrontières. La notion de district industriel proposée plus d'un siècle retrouverait ainsi une nouvelle actualité. anciens territoires nationaux ne serait plus le produit surtout, des guerres il obéirait désormais à une industrielle. La dimension des territoires serait dictée d'échelle, les effets d'agglomération, les besoins de fonctions de production et de distribution, la gestion "juste à temps ". Ce mouvement évoque, en sens l'émergence d'une beaucoup seraient par A. Marshall il y a Le redécoupage des de la diplomatie et, logique d'économie par les économies l'externalisation des des procédures du inverse, les "villes monde " chères à F. Braudel, qui sont apparues avant la formation des Etats nations. Les districts seront branchés étroitement à l'économie mondiale sur la base d'une spécialisation étroite de chacun d'entre eux favorisée par la grande mobilité des trois dimensions de la mondialisation et une plus grande mobilité du travail. Une configuration en réseau coïnciderait assez bien avec l'organisation des futures firmes "virtuelles " (" hollow corporations "). En revanche, la polarisation autour de quelques mégalopoles risquerait d'accentuer les divergences spatiales nées des effets d'agglomération.
Aller au delà des Etats nationaux
Le besoin de re-réglementation est indissociable d'un
processus de rerégulation, mais il ne peut plus être
assumé par les organisations publiques nationales ou
multilatérales. A leur place, pourraient être
mises en place des agences spécialisées, chargées
d'élaborer des normes universelles et de les faire
respecter par tous les opérateurs, à l'échelle
mondiale.
Les domaines de compétence sont assez faciles à
définir réglementation anti-trust, respect de
l'environnement, harmonisation des conditions de travail,
garanties sanitaires et sécuritaires, investigations
judiciaires, contrôle des mouvements spéculatifs
(la gestion de la taxe Tobin ou d'un équivalent pourrait
relever d'une agence financière), propriété
intellectuelle et industrielle, surveillance des réseaux
internet, procédures de règlement des différends
etc... En revanche, le statut des agencesspécialisées
est beaucoup plus difficile à imaginer dans la mesure
où il n'existe pas encore d'Etat mondial et que les
agences existantes ont une compétence limitée
à l'espace national, sauf, dans quelques cas où
une coopération a pu s'établir entre agences
européennes ou entre celles-ci et des agences américaines.
La relance des organisations spécialisées du
système des Nations-Unies comme I'OMS, le BIT, I'OMC.
ne semble pas appropriée par ce que leur autorité
repose sur la logique de la régulation inter-étatique,
celle de Bretton Woods, dont il a déjà été
montré qu'elle ne résiste plus à la dynamique
de la mondialisation. Il serait possible de laisser la mise
en place des agences spécialisées aux professions
concernées elles mêmes . C'est déjà
le cas dans le secteur financier ou le club de Bâle
a pu élaborer des règles prudentielles qui se
sont imposées aux banques. Cependant, cette formule
n'est peut être pas généralisable à
toutes les activités. En outre, elle risquerait de
donner naissance à une multiplicité de cartels.
Une autre possibilité serait de constituer des agences
autonomes composées d'experts indépendants.
Mais qui va choisir ces derniers et qui va financer les premières
? Ce pourrait être les regroupements régionaux
supra-étatiques et/ou les nouveaux districts dont il
a déjà été question. Dans ce cas,
il faudrait sans doute admettre au sein des agences des représentants
de ces entités. Ces problèmes sont complexes,
mais ils ne sont pas totalement inédits ; des solutions
ont déjà été apportées
dans le passé au niveau des Etats-nations ou des organisations
internationales ou de l'Union europeenne. Mais ils se posent,
aujourd'hui, dans un nouveau contexte, celui de la mondialisation
où la question de la légitimité du pouvoir
des partenaires sociaux s'effondre ou n'est pas encore suffisamment
établie.
La recherche de la nouvelle autorité pertinente aujourd'hui
aurait beaucoup de chances de conduire à un constat
qui a déjà été fait derrière
la métaphore des " forces du marché ",
il n'y a pas une main invisible de nature providentielle,
mais la présence très concrète de ceux
qui "font le marché ". La régulation
privée semble être l'horizon indépassable
de la mondialisation. A moins que la société
civile fasse apparaître, sur la base des nouvelles configurations
territoriales qui ont été définies, de
nouveaux acteurs.