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LES DROITS DES TIBETAINS SACRIFIES SUR L'AUTEL DU « MIRACLE ECONOMIQUE » CHINOIS

Claude B. Levenson

Dans la cacophonie des pubs à vocation festive et les cris des victimes de mille morts qui ensanglantent l'actualité, la voix d'un peuple occupé, colonisé par une dictature vivement courtisée par les néo-démocrates de tout poil a-t-elle quelque chance d'éveiller un écho ? Peut-être, envers et contre tout. Quoi qu'il en soit, la communauté tibétaine s'était donné rendez-vous à Genève à l'occasion du 10 décembre, Journée dite des droits de l'homme, pour rappeler que là-bas, au loin, là-haut sur le toit du monde, son pays et son peuple sont à l'agonie. A ses côtés était présente une délégation de l'Assemblée populaire tibétaine (parlement en exil), invitée par le Groupe parlementaire suisse pour le Tibet.

Foin de la propagande chinoise persistante qui se targue de développement et d'exploits techniques pour mieux lancer de la poudre aux yeux à la galerie et aveugler ceux qui ne veulent pas voir : il est grand temps de prendre en compte le coût humain de cette croissance échevelée qui fait saliver tant de grands manitous à travers le monde. En Chine elle-même, les plus démunis sont les plus exploités, et au Tibet, c'est un pays dans son ensemble qui est voué à s'engloutir dans le magma informe d'une supposée modernisation aux dépens de ses habitants. A moins qu'un sursaut de la communauté internationale ne pousse, avant qu'il ne soit décidément trop tard, les responsables des affaires du monde à porter secours à un peuple en danger.

Illusion, dira-t-on. Peut-être, mais… mini-lueur d'espoir dans un trop long tunnel : le rapporteur des Nations unies sur la torture vient de faire une première visite en Chine - promise, attendue et sans cesse reportée depuis dix ans. Manfred Nowak a donné son avis dès son retour dans un rapport à la fois mesuré et accablant. Ses escales à Pékin, Lhassa au Tibet et Urumqi au Turkestan oriental n'ont pas été sans mésaventures qu'il regrette, et il conclut de ses entretiens souvent épiés sur place que la torture reste largement répandue dans le système pénitentiaire chinois. D'où ses recommandations d'appliquer les normes internationales ratifiées par le gouvernement…

Et déjà c'en est trop pour les autorités de Pékin : le porte-parole du ministère des affaires étrangères a aussitôt réagi, dénonçant les propos du rapporteur qu'il enjoint sèchement 'de corriger ses conclusions erronées' puisque 'des mécanismes sont en place pour éviter le problème'. En effet, la torture est hors la loi en Chine depuis 1996, si bien que les preuves qui en témoignent d'abondance, sans parler de la peine de mort, sont sans doute imputables à une poignée d'esprits malveillants ! Quant aux victimes de mauvais traitements – dissidents, moines et civils tibétains ou ouïghours taxés de « séparatisme », activistes et défenseurs des droits des plus pauvres, journalistes – ils n'ont qu'à s'en prendre à eux-mêmes au lieu de ternir par leurs vains propos la réputation du pays. D'ailleurs, qui à l'étranger se soucie vraiment de les écouter, voire de les entendre, tant le miroir aux alouettes du
« miracle économique » brouille les sens d'émissaires prêts à toutes les compromissions pour plaire aux locataires de la Cité interdite ?

Tout cynisme étalé, les autorités chinoises n'ont pas hésité à envoyer la troupe dans le grand monastère de Drépung, à l'orée de Lhassa, pour disperser une manifestation pacifique des moines. Ils étaient réunis en silence dans la cour intérieure pour protester contre l'arrestation de cinq responsables monastiques, appréhendés manu militari pour avoir refusé de signer un engagement à renier le dalaï-lama. Cela s'est passé fin novembre, dans le cadre d'une nouvelle 'campagne de rééducation' visant à mettre au pas les récalcitrants encore enclins à se croire tibétains. Comme par hasard, juste durant la visite du rapporteur de l'ONU : en a-t-il eu vent ?

Et pendant ce temps, d'autres Tibétains continuent de braver les pires dangers dans l'espoir de trouver refuge loin de l'oppression chinoise. Nous en avons rencontré quelques-uns en septembre à Katmandou, avant qu'ils ne poursuivent leur chemin vers l'Inde : ayant échappé à une fusillade des garde-frontières chinois, ils ont été amenés sains et sauf au Centre d'accueil. Une vingtaine d'autres ont été arrêtés par la police népalaise fin novembre, incarcérés faute de papiers et condamnés à 11 mois de prison ou à payer chacun une amende de 120 $. Pour cette fois, ils ont été tirés d'affaire par la communauté tibétaine sur place et remis au Commissariat pour les réfugiés. Face à ces drames guère médiatisés, ne serait-ce que parce que les journalistes ne sont pas 'autorisés' à faire librement leur travail au Tibet, pas plus qu'en Chine, que pèse le refus de visa dont l'auteur de ces lignes a été récemment l'objet? Rien, sinon des regrets – et la certitude que le durcissement des autorités chinoises concernant la liberté d'_expression et le respect des droits fondamentaux laisse mal augurer des promesses prodiguées à tout va pour l'horizon 2008, celui des JO tant convoités et obtenus à l'arraché grâce à des complaisances douteuses. Faudra-t-il un jour rappeler les JO de Berlin en 1936 ?

Claude B. Levenson
Auteur de Tibet, otage de la Chine, Ed. Ph. Picquier
www.claudelevenson.net/