Comment Osho est arrivé dans ma vie?
Au-delà du passé... par Veet Chinta
En 1980, j'avais 28 ans, j'avais mon master en poche, mon brevet pédagogique pour l'enseignement secondaire et je venais d'être nommée à vie pour un poste d'enseignante de français et d'histoire au collège secondaire de La Planta à Lausanne. Ma vie était-elle déjà finie ?
Pour améliorer ma communication avec mes étudiants, je m'étais inscrite à des ateliers de dynamique de groupe et de bioénergie. Vous vous en doutez, loin de me perfectionner comme prof parfait, je me suis mis à danser de tout mon corps et à hurler plus fort que tous les autres que j'existais. J'ai retrouvé mes sensations, ma sensibilité et j'ai recommencé à respirer. Le peu d'enthousiasme que je portais à mon crayon rouge s'est évaporé bien vite.
Un matin, alors que je m'apprêtais à ouvrir la porte de la salle de classe, clé en main avec dans mon dos le brouhaha des élèves, j'ai été saisie de ce qu'on appelle je crois une épiphanie. D'un coup m'est apparue ma pauvre vie de pion, le tableau noir, l'odeur de la craie, les hordes d'enfants à mâter, les éternelles répétitions des mêmes matières, les bâtons rouges dans la marge et une voix en moi a dit : « Il ne peut pas y avoir que cela dans ma vie ! Il faut qu'il y ait autre chose ou je meurs ! »
L'animateur de bioénergie, swami Maharshi venait de rentrer de l'Ashram de Poona, transformé, illuminé, il avait séjourné au paradis. À l'unanimité, tout le groupe a voulu goûter à ce nectar. Tout le monde s'est mis à planifier son voyage et nous n'imaginions qu'un one way ticket. J'ai aussitôt demandé aux autorités scolaires de m'accorder une année sabbatique qu'on m'a refusée, prétextant que j'étais bien jeune et qu'il fallait que je travaille encore un peu. Du coup, j'ai démissionné, remis mon appartement, déposé mes diplômes chez mes parents et vendu tous mes biens (des centaines de bouquins et de disques) au marché aux puces.
Je suis arrivée à Poona en septembre. Satyo, partie à Goa pour des vacances, m'avait laissé sa hutte détrempée par les eaux de l'arrière-mousson et infestée de rats complètement désintéressés par la gent humaine. J'étais heureuse, enfin vivante et pour rien au monde je n'aurai manqué un discours d'Osho. Justement c'était le mois des discours en hindi et nous étions assis aux pieds de cet être merveilleux, vêtu d'une longue robe blanche toute simple, le crâne nu, une barbe de bon papa, des yeux immenses d'enfant innocent et sa voix s'écoulait dans nos oreilles, dans nos cœurs, dans chacune de nos cellules tel un fluide divin ou le chant des anges ou encore la source vive de l'âme universelle.
Nous ne comprenions rien, mais nous savions tout. Une présence d'une toute nouvelle qualité, un éveil à soi, à une perception subtile de tout ce qui est, y compris le silence, le vide et le plein et le flux intarissable du fleuve de vie. Puis sont arrivés les discours en anglais. Là, je comprenais ce qui se disait et je me souviens très bien de l'indignation que certaines paroles éveillaient en moi. Surtout quand Osho se mettait à dénigrer les intellectuels et l'arrogance du mental qui croit pouvoir tout expliquer.
C'était dur pour moi, j'avais créé mon identité sur ma réussite académique ! Et du coup, tous ces efforts pour devenir quelqu'un ? Qui étais-je en fin de compte ?
J'étais amour, j'étais extase, j'étais présence consciente et trop souvent une lamentable cacophonie. J'ai demandé à devenir sannyasin d'Osho, c'était pour le 29 octobre, darshan. Nous étions 7 candidats, bien alignés avec dans notre dos les musiciens, les medium, le photographe et Vimalkirti, le prince, pour nous remettre nos certificats.
C'est mon tour, je m'agenouille devant Osho tremblante. Ce n'est pas le petit homme tout blanc aux yeux innocents que je vois, c'est un être immense, tout doré, resplendissant, une vision qui semble venir du fond des âges et mon pauvre esprit perdu se dit : c'est Bouddha.
Osho pose son pouce sur mon troisième œil, je ferme les yeux, je ne sens plus les contours de ma personne, j'entends comme à travers de la ouate : « Ma Veet Chinta, au-delà du passé. Certaines personnes mettent toute leur énergie pour essayer de changer le passé ou d'arranger le futur qu'il ne leur reste pas d'énergie pour vivre le présent. » Voilà, tout était dit, c'était bien de moi qu'il s'agissait et depuis lors il ne se passe guère une journée sans que je me demande : « C'est où au-delà du passé ? »
Et je dois dire qu'avec le temps, j'ai fait plein de découvertes et même trente ans plus tard, il m'arrive encore d'avoir un : « Aha ! Je ne l'avais pas encore vu sous cet angle ! » Ou encore : « Ah, ce que je me sens libre aujourd'hui, si légère et si transparente. Le sommet de ma tête touche les étoiles, aucun souci, aucune pensée, mais je suis bien là. Ça doit être ça au-delà du passé ! »
Chinta