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Debout, pour retourner à l’essentiel

avec Marie-Pierre Dillenseger

Perspective

« Nous sommes depuis le début de la pandémie assis dans un avion en turbulences constantes, avec une ceinture de sécurité qui ne fonctionne pas, condamnés à regarder en boucle le film des crashs sanitaires, en attentant un atterrissage différé, sur une piste que personne ne connait. Cela suffit. Arrêtons. La suite ne dépend pas uniquement de mesures gouvernementales et politiques, sans cesse modifiées ou encore à venir. Elle ne peut s’écrire que si chacun d’entre nous, individuellement et collectivement, accepte de se redresser, et d’assumer à la fois la vulnérabilité et la grandeur de sa condition d’être humain.

Le moment est arrivé de nous recentrer sur des choix vitaux et individuels concernant la qualité de notre vie, nos pratiques de santé, les lieux qui nous font du bien et les métiers qui nous conviennent vraiment. Qui d’autre que nous sait ce qui nous maintient en vie, nous met en joie et nous permet d’avancer ? C’est à nous de sortir du cauchemar chronique qui caractérise la société actuelle. L’urgence est de se mettre Debout. Maintenant. »

Introduction, extraite du livre Debout, La force de s’incarner

S’incarner est le lent déploiement dans le temps des forces qui nous ont été données à la naissance, des qualités que nous avons gardées de vies précédentes et des mémoires engrangées au creux de nos cellules et partagées avec de lointains ancêtres.

S’incarner est la tâche de toute une vie et non l’instant précis où notre âme et notre esprit prennent chair. La conception et la naissance représentent des seuils plus que des états à partir desquels l’incarnation s’accomplit. Conception et naissance nous catapultent dans le monde du manifesté, du tangible et de la matérialité nous rendant visibles, d’abord au microscope, puis à l’œil nu. Ce sont des jalons sur un chemin non tracé à l’avance, esquissé en pointillé et au crayon sur les pages des arbres généalogiques, des histoires familiales et des conditionnements sociaux.
Comme un gland tombé en terre et cassant sa coquille, nous sommes porteurs de caractéristiques incompressibles, exprimées par les gènes. Le gland deviendra chêne, mais aucun

chêne n’est identique à un autre. Ces caractéristiques fondamentales vont tenter de s’autoréaliser et d’occuper férocement le terrain le plus tôt possible avant l’incontournable arrivée des choix et des distractions offerts par la vie, le hasard et l’intention. Nos gènes et nos familles ont d’abord, et longtemps, l’avantage, avant d’être inévitablement chahutés par l’environnement, l’expérience et la liberté individuelle de nous accomplir ou pas.

Les obstacles viennent à notre rencontre pour faire éclore, remonter à la surface ou bloquer les différentes facettes de notre être à qui semble être donnée, au fil des années, une alternance de cartes blanches et de cartons rouges. La difficulté et le grand bonheur d’une vie sont d’y arriver sans mode d’emploi. Quelles que soient la personne, sa puissance et son origine, il manque toujours des éléments, des pions et des pages à la notice d’utilisation. Aucun jeu n’est complet. Cette évidence dont j’ai parlé dans un livre précédent (6) m’a amenée à privilégier une attitude pragmatique et curieuse quant aux aléas, aux surprises et aux accidents de la vie.

La pensée classique chinoise illustrée par le Yi Jing, le livre des transformations (7), pose le changement continuel comme la norme et la pérennité comme un état aussi bref qu’illusoire. Cette lecture du monde aide à relativiser les pertes, les douleurs et les coups fourrés. Ceux-ci sont les indices indispensables à la découverte de notre être incarné et non les effets d’une malédiction à répétition.

Si nous vivons notre vie comme une enquête en voie d’élucidation, la frustration cède plus facilement la place à la curiosité, la rage à l’apprentissage et l’accablement à l’action. Mais accumuler des indices n’a d’intérêt que si nous les rapprochons d’une trame en cours de clarification. Face à une situation difficile, imaginons-nous dans un film policier face au tableau où sont punaisés les photos, les numéros de téléphone, les noms des suspects et les habitudes de la victime.

Résistons à l’illusion du déjà écrit, du déjà tracé et du fichu d’avance. Tant que ne nous sont pas données les clés d’incarnation, que les épreuves et les défis ne sont pas identifiés, nous sommes laissés à nous-mêmes dans un océan de possibles, farcis des enseignements et des messages de ceux et celles qui nous ont précédés, mais qui n’avaient pas la même incarnation que nous, pas les mêmes gènes et aucune idée des poussières d’étoiles que cette vie nous a déposées dans la poche. En d’autres termes, leurs yeux ne sont pas nos yeux. Notre chemin n’est pas le leur. Nous avons notre propre enquête à mener et notre propre chemin à tracer.

S’incarner est un processus qui prend du temps, une épreuve qui exige de la résilience et demande des efforts. C’est aussi un processus qui nous permet d’aller au-devant de nous-mêmes et de nos qualités profondes. Chaque année s’efforce de faire émerger nos muscles énergétiques, fabrique de nouveaux liens et propose de laisser derrière, les scories, les déchets et les mémoires de ce qui est révolu parce qu’accompli et dépassé par l’expérience acquise.

Parfois survient la joie d’être en vie, en pleine vibration avec soi-même et à sa place. Non pas celle qui nous a été désignée, mais celle qui est la nôtre parce que nous avons osé la chercher, accepté de la trouver et su la protéger. Cette joie n’est pas l’effet du hasard, mais le résultat d’un effort conscientisé et de la traversée de multiples seuils d’incarnation. La joie se cultive. Elle atteste d’une incarnation vivante. Elle confirme notre capacité à écrire nous-mêmes les pages qui manquaient initialement dans notre mode d’emploi.

Merci à la Vie.

Portrait

Marie-Pierre Dillenseger est franco-américaine, auteurs de trois ouvrages qui posent l’individu dans son rôle d’être agissant et responsable, en capacité de façonner le cours de sa vie. Spécialiste des arts stratégiques chinois appliqués (Yi Jing, art de la guerre, synchronicité, analyse spatiale, décodage temporel) qu’elle pratique depuis 25 ans, elle établit des ponts solides et utilisables au quotidien, entre la pensée énergétique et pragmatique chinoise et la pensée occidentale, efficace et raisonnée, mais qui aujourd’hui rencontre des limites.

Elle valorise le mouvement, la politique des petits pas, celle des actes quotidiens qui répétés finissent pas bouger les lignes et déplacer les montagnes. Elle vit sur la Côte Est des Etats-Unis. Elle y est engagée dans la protection du patrimoine architectural (Vice Chair, Cambridge Conservation District) et investie sur des aspects de préservation de l’environnement (Cape Cod).

Elle est l’autrice de trois ouvrages : Oser s’accomplir : 12 clés pour être soi. Paris : Mama Editions, 2019, La Voie du Feng Shui : Chevaucher le temps, Apprivoiser l’Espace, Trouver sa place. Paris : Inter Editions, 2016 et Debout, la force de s’incarner. Paris : Mama Editions, 2021.

6. Marie-Pierre Dillenseger, Oser s’accomplir, Mama Éditions, 2019.
7. Yi Jing, traduction de Richard Wilhelm, Librairie de Médicis, 1973.

Photos :
Portrait © Marie-Pierre Dillenseger / Picola
Couverture du livre © Mama Éditions
Photo © Marie-Pierre Dillenseger / Reza Mahdavi