Quels sont les dangers du yoga?
Est-il particulièrement dangereux pour les peuples d'Occident ? On a prétendu que le yoga était bon pour l'Orient, mais qu'il faisait perdre tout équilibre à la mentalité occidentale.
Sri Aurobindo :
Le yoga n'est pas plus dangereux pour les Occidentaux que pour les Orientaux. Tout dépend de l'esprit dans lequel on s'approche de lui. Le yoga devient dangereux si on l'utilise à des fins personnelles; il n'est pas dangereux, au contraire c'est le salut et la sécurité même, si on vient à lui avec le sentiment de sa sainteté, en se rappelant toujours que le seul but est de trouver le Divin.
Les difficultés et les périls commencent dès qu'on poursuit le yoga, non pour l'amour du Divin, mais pour acquérir des pouvoirs, et, sous le couvert du yoga, pour chercher la satisfaction d'ambitions personnelles. Si vous ne pouvez pas rejeter toute ambition, ne touchez pas à la chose : c'est du feu qui brûle.
Deux chemins mènent au yoga : la discipline (tapasyâ) et la soumission (surrender).
Le premier est ardu. Là, vous êtes livré à vos propres moyens, vous ne pouvez compter que sur vous-même, vous vous élevez et vous réalisez en proportion de vos forces. Le danger de tomber vous accompagne à chaque pas, et, si vous tombez, vous roulez au fond d'un abîme d'où il est rare que l'on puisse sortir.
L'autre chemin, celui de la soumission, est sûr et certain. C'est ici, cependant, que les gens d'Occident trouvent leur difficulté. On leur a enseigné à craindre et à éviter tout ce qui pouvait menacer leur indépendance personnelle; ils ont sucé avec le lait de leur mère le sens de leur individualité. Et la soumission veut dire l'abandon de tout cela.
En d'autres termes, vous pouvez vous conformer, comme dit Râmakrishna, au petit singe ou au petit chat. Le petit singe s'agrippe à sa mère pour qu'elle le transporte, et il doit s'accrocher bien fort, car s'il desserrait son étreinte, il tomberait. A l'encontre du singe, le bébé chat ne se tient pas à sa mère, mais est tenu par elle; il n'a ni crainte ni responsabilité; il n'a rien d'autre à faire qu'à se laisser porter en criant : mâ, mâ.
Si vous adoptez en toute sincérité le chemin de la soumission, il n'y a plus de danger ni de difficulté sérieuse. Le tout est d'être sincère. Si vous n'êtes pas sincère, n'entreprenez pas le yoga. Si vous vous occupiez d'affaires humaines, vous pourriez, avec quelques chances de succès, avoir recours à la tromperie; mais il n'y a aucune place pour la tromperie dans vos relations avec le Divin. On ne trompe pas le Divin ! Vous pouvez avancer sur le chemin en toute sécurité si vous êtes candide et ouvert jusque dans les profondeurs de votre être, et si votre unique but est d'atteindre et de réaliser le Divin, d'être guidé par lui seul.
Il y a un autre danger; il a rapport aux impulsions sexuelles.
Le yoga, dans son oeuvre de purification, met à nu et fait monter à la surface les impulsions et les désirs cachés. Vous devez apprendre à ne rien celer ni laisser de côté. Vous devez faire face à ces mouvements d'ignorance, les conquérir, et leur donner une nouvelle forme. Cependant, le premier effet du yoga est la suppression du contrôle mental; et les appétits qui étaient assoupis, soudainement libérés, se précipitent pour envahir tout l'être. Tant que ce contrôle mental n'est pas remplacé par le contrôle divin, il y a une période de transition pendant laquelle votre sincérité et votre soumission, sont mises à l'épreuve.
La force des impulsions, et surtout des impulsions sexuelles, réside dans le fait que les gens y attachent beaucoup trop d'importance. Ils protestent contre elles violemment et essayent de les contrôler par coercition, en les gardant emprisonnées en eux-mêmes. Mais, plus l'on concentre son attention sur une chose en pensant : "Je n'en veux pas, je n'en veux pas", plus on y est lié. Ce que vous devez faire, est de garder la chose éloignée de vous, de vous en dissocier, d'y attacher aussi peu d'importance que possible, et même s'il vous arrive d'y penser, de rester indifférent et détaché.
C'est avec un esprit de détachement et de sérénité qu'il vous faut faire face aux impulsions et aux désirs mis en évidence par la pression du yoga, comme à des choses étrangères à vous-même et appartenant au monde extérieur. Faites-en l'offrande au Divin, afin que le Divin puisse les prendre et les transmuer en vous.
Une fois que vous êtes ouvert au Divin et que le pouvoir du Divin a commencé à descendre en vous, si vous vous obstinez à rester en rapport avec les vieilles forces, vous vous préparez des ennuis, des difficultés sans fin, et des périls de toute sorte. Vous devez être vigilant et ne pas vous servir du Divin comme d'un beau manteau pour couvrir la satisfaction de vos désirs. Il y a beaucoup de soi-disant maîtres, qui se sont proclamés tels, et ne font rien d'autre que cela. Et quand on abandonne le droit chemin, si l'on a peu de connaissance et pas beaucoup de pouvoir, il arrive que l'on devienne la proie d'entités d'un certain type, qui font de vous leur instrument aveugle et finissent par vous dévorer. Il est funeste, sur le sentier, de tâcher de passer pour ce que l'on n'est pas. On ne peut tromper Dieu. Ne venez pas à lui, disant : "Je veux l'union avec toi", et pensant en votre for intérieur : "Je veux des pouvoirs et des jouissances." Prenez garde ! Vous iriez droit vers le précipice.
Et cependant, il est si facile d'éviter toute catastrophe. Devenez comme un enfant. Donnez-vous entièrement à la Mère; laissez-la vous porter, et il n'y a plus de danger pour vous.
Ceci ne veut pas dire que vous n'ayez à faire face à aucun genre de difficulté, ni à combattre et à vaincre aucun obstacle. La soumission ne garantit pas un progrès égal, uniforme et continu. Et cela, parce que votre être n'est pas encore unifié, ni votre soumission absolue et complète. Une partie seulement de vous se soumet, une aujourd'hui, une autre demain, et ainsi de suite.
La discipline du yoga consiste à rassembler toutes ces parties divergentes de l'être et à les fondre en une unité sans division. jusque-là, vous ne pouvez espérer être sans difficultés et libre, par exemple, du doute, de l'hésitation, de la dépression. Le monde entier est plein de ce poison; vous l'absorbez chaque fois que vous respirez. Si vous échangez quelques mots avec un homme indésirable, ou même qu'un tel homme passe seulement près de vous, vous pouvez attraper de lui la contagion. Il suffit de s'approcher d'un endroit où il y a la peste pour être infecté; il n'est pas besoin pour cela de savoir qu'elle est là. C'est ainsi qu'en quelques minutes vous pouvez perdre ce qu'il a fallu des mois pour acquérir.
Tant que vous appartenez à l'humanité et menez la vie ordinaire, vos relations avec les gens sont de peu d'importance. Mais si vous voulez la vie divine, il vous faut devenir très soigneux en ce qui concerne vos fréquentations et votre entourage.
Traduit par La Mère : Entretiens 1929
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